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LES ROUGON-MACQUART.

Cette question brutale la surprit au point qu’elle laissa tomber son ouvrage. Elle était toute blanche. Par un effort superbe de volonté, elle garda un visage de marbre, les yeux largement ouverts sur lui. Elle ne répondit pas, et il se fit suppliant :

— Oh ! je vous en prie, un mot, un seul… Vous vous mariez ?

— Oui, peut-être, que vous importe ? dit-elle enfin, d’un ton glacé.

Il eut un geste violent. Il s’écria :

— Mais c’est impossible !

— Pourquoi donc ? reprit-elle, sans le quitter du regard.

Alors, sous ce regard qui lui clouait les paroles aux lèvres, il dut se taire. Un moment encore, il resta là, portant les mains à ses tempes ; puis, comme il étouffait et qu’il craignait de céder à quelque violence, il s’éloigna, pendant qu’elle affectait de reprendre paisiblement son ouvrage.

Mais le charme de ces douces après-midi était rompu. Il eut beau, le lendemain, se montrer tendre et obéissant, Hélène paraissait mal à l’aise, dès qu’elle demeurait seule avec lui. Ce n’était plus cette bonne familiarité, cette confiance sereine qui les laissait côte à côte, sans un trouble, avec la joie pure d’être ensemble. Malgré le soin qu’il mettait à ne pas l’effrayer, il la regardait parfois, secoué d’un tressaillement subit, le visage enflammé par un flot de sang. Elle-même avait perdu de sa belle tranquillité ; des frissons l’agitaient, elle restait languissante, les mains lasses et inoccupées. Toutes sortes de colères et de désirs semblaient s’être éveillés en eux.

Hélène en vint à ne plus vouloir que Jeanne s’éloignât. Le docteur trouvait sans cesse entre elle et lui