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UNE PAGE D’AMOUR.

passionner le moins du monde les spectateurs. Les pauvres chers petits étaient devenus très-graves. Des bambins s’endormaient, en suçant leurs doigts. D’autres, plus grands, tournaient la tête, souriaient aux parents, qui eux-mêmes bâillaient avec discrétion. Aussi, fut-ce un soulagement général, lorsque le grand Morizot se décida à emporter son guéridon.

— Oh ! il est très-fort, murmura Malignon dans le cou de madame Deberle.

Mais le rideau rouge s’était écarté de nouveau, et un spectacle magique avait mis debout tous les enfants.

Sous la vive clarté de la lampe centrale et de deux candélabres à dix branches, la salle à manger s’étendait, avec sa longue table, servie et parée comme pour un grand dîner. Il y avait cinquante couverts. Au milieu et aux deux bouts, dans des corbeilles basses, des buissons de fleurs s’épanouissaient, séparés par de hauts compotiers, sur lesquels s’entassaient des « surprises », dont les papiers dorés et peinturlurés luisaient. Puis, c’étaient des gâteaux montés, des pyramides de fruits glacés, des empilements de sandwichs, et, plus bas, toute une symétrie de nombreuses assiettes pleines de sucreries et de pâtisseries ; les babas, les choux à la crème, les brioches alternaient avec les biscuits secs, les croquignoles, des petits fours aux amandes. Des gelées tremblaient dans des vases de cristal. Des crèmes emplissaient des jattes de porcelaine. Et les bouteilles de vin de Champagne, hautes comme la main, faites à la taille des convives, allumaient autour de la table l’éclair de leurs casques d’argent. On eût dit un de ces goûters gigantesques comme les enfants doivent en imaginer en rêve, un goûter servi avec la gravité d’un dîner de grandes per-