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UNE PAGE D’AMOUR.

Hélène eut un sourire inconscient. Elle riait à ses tendresses. Qu’avait-elle besoin de connaître Henri ? Il lui semblait plus doux de l’ignorer, de l’ignorer à jamais, et de l’accueillir comme celui qu’elle attendait depuis si longtemps. Pourquoi se serait-elle étonnée et inquiétée ? Il venait de se trouver à l’heure dite sur son chemin. Cela était bon. Sa nature franche acceptait tout. Un calme descendait en elle, fait de cette pensée qu’elle aimait et qu’elle était aimée. Et elle se disait qu’elle serait assez forte pour ne pas gâter son bonheur.

Cependant, la nuit venait, un vent froid passa dans l’air. Jeanne, rêveuse, eut un frisson. Elle posa la tête sur la poitrine de sa mère ; et, comme si la question se fût rattachée à ses réflexions profondes, elle murmura une seconde fois :

— Tu m’aimes ?

Alors, Hélène, souriant toujours, lui prit la tête entre ses deux mains et parut chercher un instant sur son visage. Puis, elle posa longuement les lèvres près de sa bouche, au-dessus d’un petit signe rose. C’était là, elle le voyait bien, qu’Henri avait baisé l’enfant.

L’arête sombre des coteaux de Meudon entamait déjà le disque lunaire du soleil. Sur Paris, les rayons obliques s’étaient encore allongés. L’ombre du dôme des Invalides, démesurément grandie, noyait tout le quartier Saint-Germain ; tandis que l’Opéra, la tour Saint-Jacques, les colonnes et les flèches, zébraient de noir la rive droite. Les lignes des façades, les enfoncements des rues, les îlots élevés des toitures, brûlaient avec une intensité plus sourde. Dans les vitres assombries, les paillettes enflammées se mouraient, comme si les maisons fussent tombées en