Page:Emile Zola - Une page d'amour.djvu/152

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
152
LES ROUGON-MACQUART.

dit : « Je vous remercie bien, madame… » Alors, Lucien, en dansant, s’est piqué. Il m’a demandé : « Qu’est-ce que tu as donc là devant qui pique ? » Moi, je ne savais plus, je lui ai répondu que je n’avais rien. C’est Pauline qui m’a visitée et qui a remis l’épingle comme il faut… Non ! tu n’as pas idée ! on se bousculait, une grande bête de garçon a donné un coup dans le derrière à Sophie, qui a failli tomber. Les demoiselles Levasseur sautaient à pieds joints. Ce n’est pas comme ça qu’on danse, bien sûr… Mais le plus beau, vois-tu, ç’a été la fin. Tu n’étais plus là, tu ne peux pas savoir. On s’est pris par les bras, on a tourné en rond ; c’était à mourir de rire. Il y avait de grands messieurs qui tournaient aussi. Bien vrai, je ne mens pas !… Pourquoi ne veux-tu pas me croire, petite mère ?

Le silence d’Hélène finissait par la fâcher. Elle se serra davantage, lui secoua la main. Puis, voyant qu’elle n’en tirait que des paroles brèves, elle se tut peu à peu elle-même, glissant également à une rêverie, songeant à ce bal qui emplissait son jeune cœur. Alors, toutes deux, la mère et la fille, demeurèrent muettes, en face de Paris incendié. Il leur restait plus inconnu encore, ainsi éclairé par les nuées saignantes, pareil à quelque ville des légendes expiant sa passion sous une pluie de feu.

— On a dansé en rond ? demanda tout d’un coup Hélène, comme réveillée en sursaut.

— Oui, oui, murmura Jeanne absorbée à son tour.

— Et le docteur ? est-ce qu’il a dansé ?

— Je crois bien, il a tourné avec moi… Il m’enlevait, il me questionnait : « Où est ta maman ? où est ta maman ? » Puis, il m’a embrassée.