Page:Emile Zola - Une page d'amour.djvu/17

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
17
UNE PAGE D’AMOUR.

de tomber ainsi sur cette jeune dame. Pourquoi n’avait-elle pas demandé le docteur ? Elle savait cependant qu’il était marié.

Justement, madame Deberle achevait un récit d’une voix rapide et un peu aiguë :

— Oh ! c’est merveilleux, merveilleux !… Elle meurt avec un réalisme !… Tenez, elle empoigne son corsage comme ça, elle renverse la tête, et elle devient toute verte… Je vous jure qu’il faut aller la voir, mademoiselle Aurélie…

Puis, elle se leva, vint jusqu’à la porte en faisant un grand bruit d’étoffes, et dit avec une bonne grâce charmante :

— Veuillez entrer, madame, je vous en prie… Mon mari n’est pas là… Mais je serai très-heureuse, très-heureuse, je vous assure… Ce doit être cette belle demoiselle qui a été si souffrante, l’autre nuit… Je vous en prie, asseyez-vous un instant.

Hélène dut accepter un fauteuil, pendant que Jeanne se posait timidement au bord d’une chaise. Madame Deberle s’était enfoncée de nouveau dans son petit canapé, en ajoutant avec un joli rire :

— C’est mon jour. Oui, je reçois le samedi… Alors, Pierre introduit tout le monde. L’autre semaine, il m’a amené un colonel qui avait la goutte.

— Êtes-vous folle, Juliette ! murmura mademoiselle Aurélie, la dame âgée, une vieille amie pauvre, qui l’avait vue naître.

Il y eut un court silence. Hélène donna un regard à la richesse du salon, aux rideaux et aux siéges noir et or qui jetaient un éblouissement d’astre. Des fleurs s’épanouissaient sur la cheminée, sur le piano, sur les tables ; et, par les glaces des fenêtres, entrait la lumière claire du jardin, dont on apercevait les arbres