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UNE PAGE D’AMOUR.

vement, d’un signe de tête. Onze heures sonnèrent, Hélène était toujours là, lorsqu’elle crut entendre frapper légèrement à la porte du palier. Elle prit la lampe et, très-surprise, alla voir.

— Qui est là ?

— Moi, ouvrez, répondit une voix étouffée.

C’était la voix d’Henri. Elle ouvrit vivement, trouvant cette visite naturelle. Sans doute, le docteur venait d’apprendre la crise de Jeanne, et il accourait, bien qu’elle ne l’eût pas fait appeler, prise d’une sorte de pudeur à la pensée de le mettre de moitié dans la santé de sa fille.

Mais Henri ne lui laissa pas le temps de parler. Il l’avait suivie dans la salle à manger, tremblant, le sang au visage.

— Je vous en prie, pardonnez-moi, balbutia-t-il en lui saisissant la main. Il y a trois jours que je ne vous ai vue, je n’ai pu résister au besoin de vous voir.

Hélène avait dégagé sa main. Lui, recula, les yeux sur elle, continuant :

— Ne craignez rien, je vous aime… Je serais resté à votre porte, si vous ne m’aviez pas ouvert. Oh ! je sais bien que tout cela est fou, mais je vous aime, je vous aime…

Elle l’écoutait, très-grave, avec une sévérité muette qui le torturait. Devant cet accueil, tout le flot de sa passion coula.

— Ah ! pourquoi jouons-nous cette atroce comédie ?… Je ne puis plus, mon cœur éclaterait ; je ferais quelque folie, pire que celle de ce soir ; je vous prendrais devant tous, et je vous emporterais…

Un désir éperdu lui faisait tendre les bras. Il s’était rapproché, il baisait sa robe, ses mains fiévreuses s’égaraient. Elle, toute droite, restait glacée.