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UNE PAGE D’AMOUR.

grosse tête toute pâle, sur ses épaules maigres. Il se mouchait bruyamment pour cacher ses larmes. Le danger que courait sa petite amie le bouleversait au point qu’il en oubliait ses pauvres.

Mais les deux frères avaient beau se reculer au fond de la pièce, Jeanne les sentait là ; ils la gênaient, elle se retournait d’un air de malaise, même lorsqu’elle était assoupie par la fièvre. Sa mère alors se penchait pour entendre les mots qu’elle balbutiait :

— Oh ! maman, j’ai mal !… Tout ça m’étouffe… Renvoie le monde, tout de suite, tout de suite…

Hélène, le plus doucement possible, expliquait aux deux frères que la petite voulait dormir. Ils comprenaient, ils s’en allaient en baissant la tête. Dès qu’ils étaient partis, Jeanne respirait fortement, jetait un coup d’œil autour de la chambre, puis reportait avec une douceur infinie ses regards sur sa mère et le docteur.

— Bonsoir, murmurait-elle. Je suis bien, restez là.

Pendant trois semaines, elle les retint ainsi. Henri était d’abord venu deux fois par jour, puis il passa les soirées entières, il donna à l’enfant toutes les heures dont il pouvait disposer. Au début, il avait craint une fièvre typhoïde ; mais des symptômes tellement contradictoires se présentaient, qu’il se trouva bientôt très-perplexe. Il était sans doute en face d’une de ces affections chloro-anémiques, si insaisissables, et dont les complications sont terribles, à l’âge où la femme se forme dans l’enfant. Successivement, il redouta une lésion du cœur et un commencement de phtisie. Ce qui l’inquiétait, c’était l’exaltation nerveuse de Jeanne qu’il ne savait comment calmer, c’était surtout cette fièvre intense, entêtée, qui refusait de céder à la médication la plus éner-