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LES ROUGON-MACQUART.

gique. Il apportait à cette cure toute son énergie et toute sa science, avec l’unique pensée qu’il soignait son bonheur, sa vie elle-même. Un grand silence, plein d’une attente solennelle, se faisait en lui ; pas une fois, pendant ces trois semaines d’anxiété, sa passion ne s’éveilla ; il ne frissonnait plus sous le souffle d’Hélène, et lorsque leurs regards se rencontraient, ils avaient la tristesse amicale de deux êtres que menace un malheur commun.

Pourtant, à chaque minute, leurs cœurs se fondaient davantage l’un dans l’autre. Ils ne vivaient plus que de la même pensée. Dès qu’il arrivait, il apprenait, en la regardant, de quelle façon Jeanne avait passé la nuit, et il n’avait pas besoin de parler pour qu’elle sût comment il trouvait la malade. D’ailleurs, avec son beau courage de mère, elle lui avait fait jurer de ne pas la tromper, de dire ses craintes. Toujours debout, n’ayant pas dormi trois heures de suite en vingt nuits, elle montrait une force et une tranquillité surhumaines, sans une larme, domptant son désespoir pour garder sa tête dans cette lutte contre la maladie de son enfant. Il s’était produit un vide immense en elle et autour d’elle, où le monde environnant, ses sentiments de chaque heure, la conscience même de sa propre existence, avaient sombré. Rien n’existait plus. Elle ne tenait à la vie que par cette chère créature agonisante et cet homme qui lui promettait un miracle. C’était lui, et lui seul, qu’elle voyait, qu’elle entendait, dont les moindres mots prenaient une importance suprême, auquel elle s’abandonnait sans réserve, avec le rêve d’être en lui pour lui donner de sa force. Sourdement, invinciblement, cette possession s’accomplissait. Lorsque Jeanne traversait une heure de danger, presque chaque soir,