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Page:Emile Zola - Une page d'amour.djvu/191

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UNE PAGE D’AMOUR.

— Tout de suite, tout de suite… C’est plus gentil, quand il n’y a pas de monde.

Hélène l’avait assise, pendant qu’Henri mettait deux oreillers derrière elle, pour la soutenir. Et, la serviette étalée, une assiette sur les genoux, Jeanne attendait avec un sourire.

— Je vais te le casser, veux-tu ? demanda sa mère.

— Oui, c’est cela, maman.

— Et moi, je vais te couper trois mouillettes, dit le docteur.

— Oh ! quatre, j’en mangerai bien quatre, tu verras.

Elle tutoyait le docteur, maintenant. Quand il lui donna la première mouillette, elle saisit sa main, et comme elle avait gardé celle de sa mère, elle les baisa toutes deux, allant de l’une à l’autre avec la même affection passionnée.

— Allons, sois raisonnable, reprit Hélène, qui la voyait près d’éclater en sanglots ; mange bien ton œuf pour nous faire plaisir.

Jeanne alors commença ; mais elle était si faible, qu’après la deuxième mouillette, elle se trouva toute lasse. Elle souriait à chaque bouchée, en disant qu’elle avait les dents molles. Henri l’encourageait, Hélène avait des larmes au bord des yeux. Mon Dieu ! elle voyait son enfant manger ! Elle suivait le pain, ce premier œuf l’attendrissait jusqu’aux entrailles. La brusque pensée de Jeanne, morte, raidie sous un drap, vint la glacer. Et elle mangeait, elle mangeait si gentiment, avec ses gestes ralentis, ses hésitations de convalescente !

— Tu ne gronderas pas, maman… Je fais ce que je peux, j’en suis à ma troisième mouillette… Es-tu contente ?