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LES ROUGON-MACQUART.

désespoir sans bornes où elle sombrait avec tous ceux qui lui étaient chers. Elle n’aurait su dire quel malheur la menaçait ainsi, elle était sans espérance, et elle pleurait.

Déjà, dans l’église parfumée des fleurs du mois de Marie, elle avait eu des attendrissements pareils. Le vaste horizon de Paris, au crépuscule, la touchait d’une profonde impression religieuse. La plaine semblait s’élargir, une mélancolie montait de ces deux millions d’existences, qui s’effaçaient. Puis quand il faisait noir, quand la ville s’était évanouie avec ses bruits mourants, son cœur serré éclatait, ses larmes débordaient en face de cette paix souveraine. Elle aurait joint les mains et balbutié des prières. Un besoin de foi, d’amour, d’anéantissement divin, lui donnait un grand frisson. Et c’était alors que le lever des étoiles la bouleversait d’une jouissance et d’une terreur sacrées.

Au bout d’un long silence, l’abbé Jouve insista.

— Ma fille, il faut vous confier à moi. Pourquoi hésitez-vous ?

Elle pleurait encore, mais avec une douceur d’enfant, comme lasse et sans force.

— L’église vous effraie, continua-t-il. Un instant, je vous ai crue conquise à Dieu. Mais il en a été autrement. Le ciel a ses desseins… Eh bien ! puisque vous vous défiez du prêtre, pourquoi refuseriez-vous plus longtemps une confidence à l’ami ?

— Vous avez raison, balbutia-t-elle, oui, je suis affligée et j’ai besoin de vous… Il faut que je vous confesse ces choses. Quand j’étais petite, je n’entrais guère dans les églises ; aujourd’hui, je ne puis assister à une cérémonie sans être profondément troublée… Et là, tenez, tout à l’heure, ce qui m’a fait