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UNE PAGE D’AMOUR.

sangloter, c’est cette voix de Paris qui ressemble à un ronflement d’orgues, c’est cette immensité de la nuit, c’est ce beau ciel… Ah ! je voudrais croire. Aidez-moi, enseignez-moi.

L’abbé Jouve la calma en posant légèrement la main sur la sienne.

— Dites-moi tout, répondit-il simplement.

Elle se débattit un instant, pleine d’angoisse.

— Je n’ai rien, je vous jure… Je ne vous cache rien… Je pleure sans raison, parce que j’étouffe, parce que mes larmes jaillissent d’elles-mêmes… Vous connaissez ma vie. Je n’y trouverais à cette heure ni une tristesse, ni une faute, ni un remords… Et je ne sais pas, je ne sais pas…

Sa voix s’éteignit. Alors, le prêtre laissa tomber lentement cette parole :

— Vous aimez, ma fille.

Elle tressaillit, elle n’osa protester. Le silence recommença. Dans la mer de ténèbres qui dormait devant eux, une étincelle avait lui. C’était à leurs pieds, quelque part dans l’abîme, à un endroit qu’ils n’auraient pu préciser. Et, une à une, d’autres étincelles parurent. Elles naissaient dans la nuit avec un brusque sursaut, tout d’un coup, et restaient fixes, scintillantes comme des étoiles. Il semblait que ce fût un nouveau lever d’astres, à la surface d’un lac sombre. Bientôt elles dessinèrent une double ligne, qui partait du Trocadéro et s’en allait vers Paris, par légers bonds de lumière ; puis, d’autres lignes de points lumineux coupèrent celle-ci, des courbes s’indiquèrent, une constellation s’élargit, étrange et magnifique. Hélène ne parlait toujours pas, suivant du regard ces scintillements, dont les feux continuaient le ciel au-dessous de l’horizon, dans un prolongement