Page:Emile Zola - Une page d'amour.djvu/246

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
246
LES ROUGON-MACQUART.

— Sans doute… Un jour, j’ai sauvé un terre-neuve qui se noyait.

Les dames trouvèrent cela charmant. Madame Deberle elle-même parut désarmée.

— Je vous permets les terre-neuve, répondit-elle. Seulement, vous savez bien que je ne me suis pas baignée une seule fois à Trouville.

— Ah ! la leçon que je vous ai donnée ! s’écria-t-il. Eh bien ! est-ce qu’un soir, dans votre salle à manger, je ne vous ai pas dit qu’il fallait remuer les pieds et les mains ?

Toutes ces dames se mirent à rire. Il était délicieux. Juliette haussa les épaules. On ne pouvait pas causer sérieusement avec lui. Et elle se leva pour aller au-devant d’une dame qui avait un grand talent de pianiste, et qui venait pour la première fois chez elle. Hélène, assise près du feu, avec son beau calme, regardait et écoutait. Malignon surtout semblait l’intéresser. Elle lui avait vu faire une évolution savante pour se rapprocher de madame Deberle, qu’elle entendait causer derrière son fauteuil. Tout d’un coup, les voix changèrent. Elle se renversa afin de mieux entendre. La voix de Malignon disait :

— Pourquoi n’êtes-vous pas venue, hier ? Je vous ai attendue jusqu’à six heures.

— Laissez-moi, vous êtes fou, murmurait Juliette.

Ici, la voix de Malignon s’éleva, grasseyante.

— Ah ! vous ne croyez pas l’histoire de mon terre-neuve. Mais j’ai reçu une médaille, je vous la montrerai.

Et il ajouta très-bas :

— Vous m’aviez promis… Rappelez-vous…

Toute une famille arrivait, madame Deberle éclata