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UNE PAGE D’AMOUR.

Juliette n’avait pas cédé encore ; mais la chute paraissait prochaine. Devant elle, Malignon marquait la mesure d’un balancement ravi ; madame Deberle avait une admiration complaisante, pendant que le docteur se taisait, patient et aimable, attendant la fin du morceau pour reprendre son entretien avec le gros homme blême.

De légers applaudissements s’élevèrent, lorsque la chanteuse se tut. Et des voix se pâmaient.

— Délicieux ! ravissant !

Mais le beau Malignon, allongeant les bras par-dessus les coiffures des dames, tapait ses doigts gantés, sans faire de bruit, en répétant « Brava ! brava ! » d’une voix chantante qui dominait les autres.

Tout de suite, cet enthousiasme tomba, les visages détendus se sourirent, quelques dames se levèrent, tandis que les conversations repartaient, au milieu du soulagement général. La chaleur grandissait, une odeur musquée s’envolait des toilettes sous le battement des éventails. Par moments, dans le murmure des causeries, un rire perlé sonnait, un mot dit à voix haute faisait tourner les têtes. À trois reprises déjà, Juliette était allée dans le petit salon, pour supplier les hommes qui s’y réfugiaient, de ne pas abandonner ainsi les dames. Ils la suivaient ; et, dix minutes après, ils avaient encore disparu.

— C’est insupportable, murmurait-elle d’un air fâché, on ne peut en retenir un.

Cependant, mademoiselle Aurélie nommait les dames à Hélène, qui venait seulement aux soirées du docteur pour la seconde fois. Il y avait là toute la haute bourgeoisie de Passy, des gens très-riches. Puis, se penchant :