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LES ROUGON-MACQUART.

— Décidément, c’est fait… Madame de Chermette marie sa fille à ce grand blond avec lequel elle est restée dix-huit mois… Au moins, voilà une belle-mère qui aimera son gendre.

Mais elle s’interrompit, très-surprise.

— Tiens ! le mari de madame Levasseur qui cause avec l’amant de sa femme !… Juliette avait pourtant juré de ne plus les recevoir ensemble.

Hélène, d’un regard lent, faisait le tour du salon. Dans ce monde digne, parmi cette bourgeoisie d’apparence si honnête, il n’y avait donc que des femmes coupables ? Son rigorisme provincial s’étonnait des promiscuités tolérées de la vie parisienne. Et, amèrement, elle se raillait d’avoir tant souffert, lorsque Juliette mettait sa main dans la sienne. Vraiment ! elle était bien sotte de garder de si beaux scrupules ! L’adultère s’embourgeoisait là d’une béate façon, aiguisé d’une pointe de raffinement coquet. Madame Deberle, maintenant, semblait remise avec Malignon ; et, petite, pelotonnant dans un fauteuil ses rondeurs de jolie brune douillette, elle riait des mots d’esprit qu’il disait. M. Deberle vint à passer.

— Vous ne vous disputez donc pas ce soir ? demanda-t-il.

— Non, répondit Juliette très-gaiement. Il dit trop de bêtises… Si tu savais toutes les bêtises qu’il nous dit…

On chanta de nouveau. Mais le silence fut plus difficile à obtenir. C’était le fils Tissot qui chantait un duo de la Favorite avec une dame très-mûre, coiffée à l’enfant. Pauline, debout à une des portes, au milieu des habits noirs, regardait le chanteur d’un air d’admiration ouverte, comme elle avait vu regarder des œuvres d’art.