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LES ROUGON-MACQUART.

trape des coliques… Vrai, j’ai eu des coliques hier, je me suis tortillée toute l’après-midi… Avec une paire de bons souliers…

— Je vous en porterai une paire, mère Fétu, dit Hélène, en la congédiant d’un geste.

Puis, comme la vieille s’en allait à reculons, avec des révérences et des remerciements, elle lui demanda :

— À quelle heure vous trouve-t-on seule ?

— Mon monsieur n’y est jamais après six heures, répondit-elle. Mais ne vous donnez pas cette peine, je viendrai moi-même, je prendrai les souliers chez votre concierge… Enfin, ce sera comme vous voudrez. Vous êtes un ange du paradis. Le bon Dieu vous rendra tout ça.

On l’entendit qui s’exclamait encore sur le palier. Hélène, assise, restait dans la stupeur du renseignement que cette femme venait de lui apporter, avec un si étrange à-propos. Elle savait où, maintenant. Une chambre rose dans cette vieille maison délabrée ! Elle revoyait l’escalier suintant l’humidité, les portes jaunes, à chaque étage, noircies par des mains grasses, toute cette misère qui l’apitoyait l’hiver précédent, lorsqu’elle montait visiter la mère Fétu ; et elle tâchait de s’imaginer la chambre rose au milieu de ces laideurs de la pauvreté. Mais, comme elle restait plongée dans une profonde rêverie, deux petites mains tièdes se posèrent sur ses yeux rougis par l’insomnie, tandis qu’une voix rieuse demandait :

— Qui est-ce ?… Qui est-ce ?

C’était Jeanne qui venait de s’habiller toute seule. La voix de la mère Fétu l’avait réveillée ; et, voyant qu’on avait fermé la porte du cabinet, elle s’était vite dépêchée, pour attraper sa mère.