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UNE PAGE D’AMOUR.

paraissait plus les connaître. Sans doute, elle obéissait, en cela comme en toutes choses, à une mode, au besoin d’aimer les personnes qu’on aimait autour d’elle. Ces brusques sautes de tendresse blessaient beaucoup Hélène, dont l’esprit large et calme rêvait toujours d’éternité. Elle était souvent sortie de chez les Deberle très-triste, emportant un véritable désespoir du peu de fondement qu’on pouvait faire sur les affections humaines. Mais, ce jour-là, dans la crise qu’elle traversait, c’était une douleur plus vive encore.

— Nous passons la scène de Chavigny, dit Juliette. Il ne viendra pas, ce matin… Voyons l’entrée de madame de Léry. À vous, madame de Guiraud… Prenez la réplique.

Et elle lut :

— « Figurez-vous que je lui montre cette bourse… »

Madame de Guiraud s’était levée. Parlant d’une voix de tête, prenant un air fou, elle commença :

— « Tiens, c’est assez gentil. Voyons donc. »

Lorsque le domestique lui avait ouvert, Hélène s’imaginait une tout autre scène. Elle croyait trouver Juliette nerveuse, très-pâle, frissonnant à la pensée du rendez-vous, hésitante et attirée ; et elle se voyait elle-même la conjurant de réfléchir, jusqu’à ce que la jeune femme, étranglée de sanglots, se jetât dans ses bras. Alors, elles auraient pleuré ensemble, Hélène se serait retirée avec la pensée qu’Henri désormais était perdu pour elle, mais qu’elle avait assuré son bonheur. Et, nullement, elle tombait sur cette répétition, à laquelle elle ne comprenait rien ; elle trouvait Juliette le visage reposé, ayant bien dormi à coup sûr, l’esprit assez libre pour discuter les gestes de madame Berthier, ne se préoccupant pas le moins du monde de ce qu’elle pourrait faire l’après-midi. Cette