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Page:Emile Zola - Une page d'amour.djvu/284

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LES ROUGON-MACQUART.

— Certainement, je serais très-heureuse… Seulement, j’ai un tas de courses, je passe chez des fournisseurs d’abord, je ne sais vraiment pas à quelle heure j’arriverai chez madame de Chermette.

— Ça ne fait rien, reprit Hélène ; ça me promènera.

— Écoutez, je puis vous parler franchement… Eh bien ! n’insistez pas, vous me gêneriez… Ce sera pour l’autre lundi.

Cela était dit sans une émotion, si nettement, avec un si tranquille sourire, qu’Hélène, confondue, n’ajouta rien. Elle dut donner un coup de main à Juliette, qui voulait tout de suite porter le guéridon près de la cheminée. Puis, elle se recula, tandis que la répétition continuait. Après la fin de la scène, madame de Guiraud, dans son monologue, lança avec beaucoup de force ces deux phrases :

— « Mais quel abîme est donc le cœur de l’homme ! Ah ! ma foi, nous valons mieux qu’eux ! »

Que devait-elle faire, maintenant ? Et Hélène, dans le tumulte que cette question soulevait en elle, n’avait plus que des pensées confuses de violence. Elle éprouvait l’irrésistible besoin de se venger du beau calme de Juliette, comme si cette sérénité était une injure à la fièvre qui l’agitait. Elle rêvait sa perte, pour voir si elle garderait toujours le sang-froid de son indifférence. Puis, elle se méprisait d’avoir eu des délicatesses et des scrupules. Vingt fois, elle aurait dû dire à Henri : « Je t’aime, prends-moi, allons-nous-en, » et ne pas frissonner, et montrer le visage blanc et reposé de cette femme, qui, trois heures avant un premier rendez-vous, jouait la comédie chez elle. À cette minute encore, elle tremblait plus qu’elle ; c’était là ce qui l’affolait, la conscience de son emportement au milieu de la paix rieuse de ce salon, la