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LES ROUGON-MACQUART.

une satisfaction de vanité : elle lui paraissait très-bien, tout à fait « chic », capitonnée comme une alcôve, le lit perdu dans une ombre voluptueuse. Au moment où il donnait une bonne tournure aux dentelles des oreillers, on frappa trois coups rapides. C’était le signal.

— Enfin, dit-il tout haut, d’un air triomphant.

Et il courut ouvrir. Juliette entra, la voilette baissée, empaquetée dans un manteau de fourrure. Pendant que Malignon refermait doucement la porte, elle resta un instant immobile, sans qu’on pût voir l’émotion qui lui coupait la parole. Mais, avant que le jeune homme ait eu le temps de lui prendre la main, elle releva sa voilette, elle montra son visage souriant, un peu pâle, très-calme.

— Tiens ! vous avez allumé, s’écria-t-elle. Je croyais que vous détestiez ça, les bougies en plein jour.

Malignon, qui s’apprêtait à la serrer dans ses bras, d’un geste passionné qu’il avait médité, fut décontenancé et expliqua que le jour était trop laid, que ses fenêtres donnaient sur des terrains vagues. D’ailleurs, il adorait la nuit.

— On ne sait jamais avec vous, reprit-elle en le plaisantant. Le printemps dernier, à mon bal d’enfants, vous m’avez fait toute une affaire : on était dans un caveau, on aurait cru entrer chez un mort… Enfin, mettons que votre goût a changé.

Elle semblait en visite, affectant une assurance qui grossissait un peu sa voix. C’était le seul indice de son trouble. Par moments, elle avait une légère contraction du menton, comme si elle eût éprouvé une gêne dans la gorge. Mais ses yeux brillaient, elle goûtait le vif plaisir de son imprudence. Cela la changeait,