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UNE PAGE D’AMOUR.

Mais il crut l’avoir touchée. Il pensait très-froidement : « Si je la laisse sortir d’ici comme elle est entrée, elle est perdue pour moi. » Les paroles étaient inutiles, il lui reprit les mains, voulut remonter aux épaules. Un instant, elle parut s’abandonner. Elle n’avait qu’à fermer les yeux, elle saurait. Cette envie lui venait, et elle la discutait au fond d’elle, avec une grande lucidité. Cependant, il lui sembla que quelqu’un criait non. C’était elle qui avait crié, avant même de s’être répondu.

— Non, non, répétait-elle. Lâchez-moi, vous me faites du mal… Je ne veux pas, je ne veux pas.

Comme il ne disait toujours rien, la poussant vers la chambre, elle se dégagea violemment. Elle obéissait à des mouvements singuliers, en dehors de ses désirs ; elle était irritée contre elle-même et contre lui. Dans son trouble, des paroles entrecoupées lui échappaient. Ah ! certes, il la récompensait bien mal de sa confiance. Qu’espérait-il donc en montrant cette brutalité ? Elle le traita même de lâche. Jamais de la vie, elle ne le reverrait. Mais il la laissait parler pour s’étourdir, il la poursuivait avec un rire méchant et bête. Elle finit par balbutier, réfugiée derrière un fauteuil, tout d’un coup vaincue, comprenant qu’elle lui appartenait, sans qu’il eût encore avancé les mains pour la prendre. Ce fut une des minutes les plus désagréables de son existence.

Et ils étaient là, face à face, le visage changé, honteux et violent, lorsqu’un bruit éclata. Ils ne comprirent pas d’abord. On avait ouvert une porte, des pas traversaient la chambre, tandis qu’une voix leur criait :

— Sauvez-vous, sauvez-vous… Vous allez être surpris.