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UNE PAGE D’AMOUR.

passaient avec un redoublement de sonorité. Des parapluies se fermaient, des passants abrités sous les arbres se hasardaient d’un trottoir à l’autre, au milieu du ruissellement des flaques coulant aux ruisseaux. Elle s’intéressait surtout à une dame et à une petite fille très-bien mises, qu’elle voyait debout sous la tente d’une marchande de jouets, près du pont. Sans doute, elles s’étaient réfugiées là, surprises par la pluie. La petite dévalisait la boutique, tourmentait la dame pour avoir un cerceau ; et toutes deux s’en allaient maintenant ; l’enfant qui courait, rieuse et lâchée, poussait le cerceau sur le trottoir. Alors, Jeanne redevint très-triste, sa poupée lui parut affreuse. C’était un cerceau qu’elle voulait, et être là-bas, et courir, pendant que sa mère, derrière elle, aurait marché à petits pas, en lui criant de ne pas aller si loin. Tout se brouillait. À chaque minute, elle essuyait la vitre. On lui avait défendu d’ouvrir la fenêtre ; mais elle se sentait pleine de révolte, elle pouvait regarder dehors au moins, puisqu’on ne l’emmenait pas. Elle ouvrit, elle s’accouda comme une grande personne, comme sa mère, lorsqu’elle se mettait là et qu’elle ne parlait plus.

L’air était doux, d’une douceur humide, qui lui semblait très-bonne. Une ombre, peu à peu étendue sur l’horizon, lui fit lever la tête. Elle avait, au-dessus d’elle, la sensation d’un oiseau géant, les ailes élargies. D’abord, elle ne vit rien, le ciel restait clair ; mais une tache sombre se montra à l’angle de la toiture, déborda, envahit le ciel. C’était un nouveau grain, poussé par un terrible vent d’ouest. Le jour avait baissé rapidement, la ville était noire, dans une lueur livide qui donnait aux façades un ton de vieille rouille. Presque aussitôt la pluie tomba. Les chaussées