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UNE PAGE D’AMOUR.

tendait les gouttes obliques, presque horizontales, fouetter les murs avec un sifflement, jusqu’à ce que, le vent tombé, elles redevinssent droites, piquant le sol dans un apaisement obstiné, du coteau de Passy à la campagne plate de Charenton. Alors, l’immense cité, comme détruite et morte à la suite d’une suprême convulsion, étendit son champ de pierres renversées, sous l’effacement du ciel.

Jeanne, affaissée à la fenêtre, avait de nouveau balbutié : « Maman ! maman ! » et une immense fatigue la laissait toute faible, en face de Paris englouti. Dans cet anéantissement, les cheveux envolés, le visage mouillé de gouttes de pluie, elle gardait le goût de l’amère douceur dont elle venait de frissonner, tandis que le regret de quelque chose d’irrémédiable pleurait en elle. Tout lui semblait fini, elle comprenait qu’elle devenait très-vieille. Les heures pouvaient couler, elle ne regarderait même plus dans la chambre. Cela lui était égal, d’être oubliée et seule. Un tel désespoir emplissait son cœur d’enfant, qu’il faisait noir autour d’elle. Si on la grondait comme autrefois, quand elle était malade, ce serait très-injuste. Ça la brûlait, ça la prenait comme un mal de tête. Sûrement, tout à l’heure, on lui avait cassé quelque part une chose. Elle ne pouvait empêcher ça. Il lui fallait bien se laisser faire ce qu’on voulait. À la fin, elle était trop lasse. Sur la barre d’appui, elle avait noué ses deux petits bras, et une somnolence la prenait, la tête appuyée, ouvrant de temps à autre ses yeux très-grands, pour voir l’averse.

Toujours, toujours la pluie tombait, le ciel blême fondait en eau. Un dernier souffle avait passé, on entendait un roulement monotone. La pluie souveraine battait sans fin, au milieu d’une solennelle immobilité,