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LES ROUGON-MACQUART.

Alors, ils se turent. Ils étaient au dessert. Le petit soldat léchait du raisiné sur son pain avec une gourmandise d’enfant, tandis que la cuisinière pelait une pomme, soigneusement, d’un air maternel. Lui, pourtant, avait fourré sous la table sa main restée libre, et il lui faisait des minettes le long des genoux, mais si doucement, qu’elle feignait de ne pas les sentir. Quand il restait honnête, elle ne se fâchait point. Même elle devait aimer ça, sans l’avouer, car elle avait de légers sauts de contentement sur sa chaise. Enfin, ce jour-là, c’était un régal complet.

— Madame, voilà votre eau qui bout, dit Rosalie après un silence.

Hélène ne bougeait pas. Elle se sentait comme enveloppée dans leur tendresse. Et elle continuait pour eux leurs rêves, elle se les imaginait là-bas, dans la maison des Guignard, avec leurs deux vaches. Cela la faisait sourire, de le voir si sérieux, la main sous la table, tandis que la petite bonne se tenait très-raide, pour ne pas avoir l’air. Toutes les distances se trouvaient rapprochées, elle n’avait plus une conscience nette d’elle ni des autres, du lieu où elle était, ni de ce qu’elle venait y faire. Les cuivres flambaient sur les murs, une mollesse la retenait, le visage noyé, sans qu’elle fût blessée du désordre de la cuisine. Cet abaissement d’elle-même lui donnait la profonde jouissance d’un besoin contenté. Elle avait seulement très-chaud, le fourneau mettait des gouttes de sueur à son front pâle ; et, derrière elle, la fenêtre entr’ouverte soufflait sur sa nuque des frissons délicieux.

— Madame, votre eau bout, répéta Rosalie. Il ne va rien rester dans la bouillotte.

Et elle posa la bouillotte devant elle. Hélène, un instant surprise, dut se lever.