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UNE PAGE D’AMOUR.

— Vous avez encore cinq ans à rester soldat ? demanda Hélène, affaissée sur la haute chaise de bois, s’oubliant dans une grande douceur.

— Oui, madame, peut-être quatre seulement, si on n’a pas besoin de moi.

Rosalie comprit que madame songeait à son mariage. Elle s’écria, en affectant d’être en colère :

— Oh ! madame, il peut rester dix ans encore, ce n’est pas moi qui irai le réclamer au gouvernement… Il devient trop chatouilleur. Je crois bien qu’on le débauche… Oui, tu as beau rire. Mais, avec moi, ça ne prend pas. Quand monsieur le maire sera là, nous verrons à plaisanter.

Et, comme il ricanait plus fort, pour se poser en séducteur devant madame, la cuisinière se fâcha tout à fait.

— Va, je te conseille !… Au fond, vous savez, madame, qu’il est aussi godiche. On n’a pas idée comme l’uniforme les rend bêtes. Ce sont des airs qu’il se donne avec les camarades. Si je le mettais à la porte, vous l’entendriez pleurer dans l’escalier… Je me fiche de toi, mon petit ! Quand je voudrai, est-ce que tu ne seras pas toujours là, pour savoir comment mes bas sont faits ?

Elle le regardait de tout près ; mais, à le voir ainsi, avec sa bonne figure couleur de son qui commençait à être inquiète, elle fut brusquement attendrie. Et, sans transition apparente :

— Ah ! je ne t’ai pas dit, j’ai reçu une lettre de la tante… Les Guignard voudraient vendre leur maison. Oui, presque pour rien… On pourra peut-être, plus tard…

— Bigre ! dit Zéphyrin épanoui, on serait chez soi là-dedans… Il y a de quoi mettre deux vaches.