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UNE PAGE D’AMOUR.

lassitude. Cela la dérangeait trop d’aller chez les autres. Plus rien ne lui plaisait.

Elle ajouta :

— Je deviens vieille, je ne peux pas jouer toujours… Maman s’amuse dehors, moi, je m’amuse dedans ; alors, nous ne sommes pas ensemble.

Il y eut un silence. L’enfant frissonna, présenta les deux mains au brasier qui brûlait avec une grande lueur rose ; et elle ressemblait, en effet, à une bonne femme, emmitouflée dans un immense châle, un foulard au cou, un autre sur la tête. Au fond de tous ces linges, on la sentait pas plus grosse qu’un oiseau malade, ébouriffé et soufflant dans ses plumes. M. Rambaud, les mains nouées sur ses genoux, contemplait le feu. Puis, se tournant vers Jeanne, il lui demanda si sa mère était sortie la veille. Elle répondit d’un signe affirmatif. Et l’avant-veille, et le jour d’auparavant ? Elle disait toujours oui, d’un hochement du menton. Sa mère sortait tous les jours. Alors, M. Rambaud et la petite se regardèrent longuement, avec des figures blanchies et graves, comme s’ils avaient à mettre en commun un grand chagrin. Ils n’en parlaient point, parce qu’une gamine et un homme vieux ne pouvaient causer de cela ensemble ; mais ils savaient bien pourquoi ils étaient si tristes et pourquoi ils aimaient à rester ainsi à droite et à gauche de la cheminée, quand la maison était vide. Cela les consolait beaucoup. Ils se serraient l’un contre l’autre, pour sentir moins leur abandon. Des effusions de tendresse leur venaient, ils auraient voulu s’embrasser et pleurer.

— Tu as froid, bon ami, j’en suis sûre… Approche-toi du feu.

— Mais non, ma chérie, je n’ai pas froid.