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LES ROUGON-MACQUART.

la marche foudroyante des phtisies aiguës, un cas qu’il avait beaucoup étudié : les tubercules miliaires se multiplieraient avec rapidité, les étouffements augmenteraient, Jeanne ne passerait certainement pas trois semaines.

Huit jours s’écoulèrent. Le soleil se levait et se couchait sur Paris, dans le grand ciel élargi devant la fenêtre, sans qu’Hélène eût la sensation nette du temps impitoyable et rythmique. Elle savait sa fille condamnée, elle restait comme étourdie, dans l’horreur du déchirement qui se faisait en elle. C’était une attente sans espoir, une certitude que la mort ne pardonnerait pas. Elle n’avait point de larmes, elle marchait doucement dans la chambre, toujours debout, soignant la malade avec des gestes lents et précis. Parfois, vaincue de fatigue, tombée sur une chaise, elle la regardait pendant des heures. Jeanne allait en s’affaiblissant ; des vomissements très-douloureux la brisaient, la fièvre ne cessait plus. Quand le docteur Bodin venait, il l’examinait un instant, laissait une ordonnance ; et son dos rond, en se retirant, exprimait une telle impuissance, que la mère ne l’accompagnait même pas pour l’interroger.

Dès le lendemain de la crise, l’abbé Jouve était accouru. Lui et son frère arrivaient chaque soir, échangeaient une poignée de main silencieuse avec Hélène, n’osant lui demander des nouvelles. Ils avaient offert de veiller à tour de rôle, mais elle les renvoyait vers dix heures, elle ne voulait personne dans la chambre pour la nuit. Un soir, l’abbé, qui semblait très-préoccupé depuis la veille, l’emmena à l’écart.

— J’ai songé à une chose, murmura-t-il. La chère enfant a été retardée par sa santé… Elle pourrait faire ici sa première communion…