Page:Emile Zola - Une page d'amour.djvu/401

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
401
UNE PAGE D’AMOUR.

raison pour refuser. Cela lui paraissait très-sage. D’elle-même, comme son deuil prenait fin, elle avait réglé posément les détails avec M. Rambaud. Les mains de son vieil ami tremblaient de tendresse éperdue. Comme elle voudrait, il l’attendait depuis des mois, un signe lui suffisait. Ils s’étaient mariés en noir. Le soir des noces, lui aussi avait baisé ses pieds nus, ses beaux pieds de statue qui redevenaient de marbre. Et la vie se déroulait de nouveau.

Tandis que le ciel bleu grandissait à l’horizon, cet éveil de sa mémoire était une surprise pour Hélène. Elle avait donc été folle pendant un an ? Aujourd’hui, lorsqu’elle évoquait la femme qui avait vécu près de trois années dans cette chambre de la rue Vineuse, elle croyait juger une personne étrangère, dont la conduite l’emplissait de mépris et d’étonnement. Quel coup d’étrange folie, quel mal abominable, aveugle comme la foudre ! Elle ne l’avait pourtant pas appelé. Elle vivait tranquille, cachée dans son coin, perdue dans l’adoration de sa fille. La route s’allongeait devant elle, sans une curiosité, sans un désir. Et un souffle avait passé, elle était tombée par terre. À cette heure encore, elle ne s’expliquait rien. Son être avait cessé de lui appartenir, l’autre personne agissait en elle. Était-ce possible ? elle faisait ces choses ! Puis, un grand froid la glaçait, Jeanne s’en allait sous les roses. Alors, dans l’engourdissement de sa douleur, elle redevenait très-calme, sans un désir, sans une curiosité, continuant sa marche lente sur la route toute droite. Sa vie reprenait, avec sa paix sévère et son orgueil de femme honnête.

M. Rambaud fit un pas, voulut l’emmener de ce lieu de tristesse. Mais, d’un geste, Hélène lui témoi-