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immenses travaux, il termina sa carrière à l’âge de 62 ans, l’année qui suivit celle de la mort d’Alexandre, et où Démosthène, précisément au même âge, finissait ses jours par le poison (322 avant J.-C). L’on n’a pas manqué de prétendre qu’Aristote s’était vu réduit à une semblable extrémité pour échapper aux conséquences de l’accusation portée contre lui à Athènes, et c’est là encore la moins absurde des versions fabuleuses qui avaient cours dans l’antiquité sur son genre de mort ; mais, dit un ancien, si quelque chose étonne, c’est que ce grand homme, avec la délicatesse de sa complexion et les fréquentes altérations de sa santé, ait pu, grace à la force supérieure de son ame, parvenir à l’âge qu’il atteignit.

Diogène Laërce nous a conservé le testament d’Aristote, ou plutôt un extrait de cette pièce, dont rien ne porte à suspecter l’authenticité. Les dispositions qu’elle renferme font le plus grand honneur au caractère moral du philosophe, pour tout ce qui concerne ses relations privées. On y voit qu’il possédait à un haut degré les vertus domestiques, et qu’il savait mettre en pratique les maximes déposées dans ses livres sur la bienfaisance, l’amitié, la reconnaissance, la piété filiale et fraternelle. A d’autres égards, on ne l’a point jugé aussi favorablement ; mais il faut se défier, ici surtout, des exagérations et même des calomnies de ses adversaires, philosophes et autres. Rendons grace à l’ambition à l’amour de la gloire qu’on lui reproche, et que ses principes n’excluaient point, puisque cette passion n’eut pour but, chez lui, que les paisibles conquêtes de l’esprit, et qu’il sut la tourner chez le conquérant du monde, son élève au grand profit de la civilisation. S’il rechercha et obtint la faveur des puissans, ce fut encore dans l’intérêt de la science et jamais, que nous sachions, il ne se montra vil flatteur. Sans doute, il ne brûla point de cet ardent amour de la liberté qui embrasait l’ame d’un Démosthène ; le patriotisine républicain lui fut étranger ; il n’eut point, en un mot, les vertus publiques de son temps mais c’est qu’il ne voulut ni ne put être un personnage politique, dans les circonstances où il se trouva, et avec cette. soif de savoir qui, dès ses jeunes années, absorba son activité tout entière. D’ailleurs, comme Platon, son maitre, et comme beaucoup d’hommes éminens de cette époque, il était profondément dégoûté de la démocratie ; le spectacle de ses tristes effets lui faisait embrasser avec espoir les nouvelles destinées promises à la Grèce par le génie de Philippe et d’Alexandre. Pour tout dire, le trait le plus saillant du caractère d’Aristote parait avoir été « une modération poussée à l’excès » (dit un de ses biographes anciens), et, par cela même, exclusive du dévouement comme de l’enthousiasme. Sa seule passion véritable fut pour la science, et sa gloire immortelle est de lui avoir tout sacrifié. Il sentit que sa mission était, selon la belle expression du chancelier Bacon, de fonder dans l’ordre intellectuel une sorte de monarchie universelle comparable à celle que projetait dans l’ordre politique son illustre disciple.

Aristote fut plus heureux qu’Alexandre : il lui fut donné d’accomplir son oeuvre et de l’accomplir d’une manière durable. Doué d’une immense activité d’esprit, d’une sagacité pénétrante, d’un génie à la fois et au plus haut degré observateur et organisateur, non-seulement il s’appropria toutes les connaissances positives ou autres du siècle le plus éclairé qu’eût encore vu le monde, il les vérifia et les épura par sa critique ; mais il en étendit la limite dans toutes les directions et la transporta dans des régions jusque-là inconnues. Il fit plus : les connaissances dont il avait tant agrandi l’horizon, tant multiplié les trésors, il les soumit à sa puissante analyse, les ramena à des principes généraux, et les classa en un système encyclopédique dont Platon, sans doute, avait posé les bases dans ses admirables théories, mais qu’Aristote seul pouvait exécuter avec une étendue et une rigueur vraiment scientifiques. On conçoit que, dans la conscience qu’il avait des services rendus à la philosophie par ses travaux unis à ceux de son maitre, il s’imaginât la voir bientôt atteindre au terme de sa perfection. Il venait cependant de lui ouvrir une nouvelle et vaste carrière en cherchant à la