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fonder exclusivement sur l’expérience, et en rapportant à son domaine, avec les sciences du raisonnement, tous les faits observables dans l’ordre de la nature et dans celui de la société. Ce qui distingue éminemment l’esprit d’Aristote c’est cette tendance empirique et rationnelle à la fois, ce besoin du positif, du réel et en même temps de l’universel, qui le signalent, dans l’histoire des lettres grecques, comme le créateur de l’ère de science succédant à l’ère de poésie. Mais ne lui demandez pas l’idéal qui donne tant de profondeur et de charme au génie de Platon ni cette puissance d’imagination qui jette tant d’éclat sur ses ouvrages. Le temps de ces grandes qualités est passé ; d’autres qualités non moins grandes peut-être, quoique moins brillantes, en ont pris la place. La multiplicité des observations, l’exactitude des résultats, la sévérité du raisonnement, l’enchaînement logique des formules, un style dépouillé de toute parure et d’une concision presque mathématique, tels sont les caractères qui dominent dans les écrits d’Aristote comme dans sa manière de philosopher. Ici encore c’est le metrioz andreiz uperbolhn (l’homme qui a poussé la mesure à l’excès).

Il ne faudrait pas croire pourtant que tous les ouvrages d’Aristote fussent écrits avec cette sécheresse, ce dédain des graces du langage, cette négligence et ce décousu de la forme qui nous frappent souvent dans ceux que nous avons encore. Il en avait composé beaucoup d’autres que nous n’avons plus, et dans lesquels Cicéron trouvait, unies au mérite de la précision, une abondance et une douceur de style qu’il appelle merveilleuses. C’étaient là, sans aucun doute, les livres exotériques ou publics, destinés à l’usage commun de tous les lecteurs, d’après une distinction analogue à celle que nous avons déjà reconnue dans l’école d’Aristote. Parmi ces livres, il y avait des dialogues dont il nous reste quelques rares fragmens : leur but manifeste était de populariser les résultats pratiques de la doctrine. Les livres ésotériques, au contraire, réservés aux adeptes, renfermaient la doctrine elle-même, dans ses principes et dans ses développemens fondamentaux.


A voir la forme de ces ouvrages, auxquels appartiennent, selon toute probabilité, la plupart de ceux qui nous sont parvenus sous le nom du philosophe, on ne peut s’empêcher de penser qu’ils étaient faits pour servir de texte à ses leçons où ils devaient trouver des éclaircissemens nécessaires. C’est ce que confirme pleinement la réponse d’Aristote à une lettre dans laquelle Alexandre lui reprochait d’avoir publié ses livres acroatiques, destinés originairement à rester entre lui et ses disciples. « Sache, lui répondit son maître, que cette publication n’en est pas une ; car ils ne sont intelligibles qu’à ceux qui nous ont entendus. »

Suivant une anecdote célèbre, rapportée par Strabon et Plutarque, les ouvrages (exotériques) d’Aristote, après sa mort et après celle de Théophraste, son successeur, seraient devenus l’héritage de Nélée de Scepsis, qui les retint lorsqu’il vendit la bibliothèque d’Aristote à Ptolémée Philadelphe, pour enrichir celle d’Alexandrie. Tombés ensuite aux mains d’héritiers ignorans et cupides, qui voulurent les dérober à l’avidité littéraire, mais peu généreuse, des rois de Pergame, ils restèrent enfouis sous terre pendant plus d’un siècle et y souffrirent beaucoup. Ils revirent enfin la lumière pour être vendus à un riche amateur de livres et de philosophie, Apellicon de Téos. Celui-ci, les ayant portés à Athènes, les fit copier et restituer du mieux qu’il put. A la prise de cette ville, 86 ans avant notre ère, la bibliothèque d’Apellicon devint la proie de Sylla, fut transportée à Rome, et avec elle y arrivèrent les livres d’Aristote. Le grammairien Tyrannion, affranchi de Muréna, en obtint communication, et fit mieux encore en les communiquant à son tour au péripatéticien Andronicus de Rhodes, qui les corrigea, les ordonna, et contribua principalement à les répandre. Il s’agit évidemment dans ce récit, qu’on en admette ou non l’authenticité, d’un exemplaire particulier, nullement d’un exemplaire unique des œuvres d’Aristote ; d’autres copies existaient dans l’antiquité, sinon de l’ensemble des livres, au moins des principaux, et ces copies procédaient certainement d’Aristote lui-même et de ses disciples. Ces