soustraire à la violation les lieux où on les cachoit, ne démontrent-elles pas l’universalité d’une croyance profondément enracinée ?
Si cela fut, il n’y a plus rien d’étonnant pour l’esprit, dans la grandeur et l’énormité de dépense des sépultures royales, en forme de pyramides. L’immense disproportion, qui partout existe entre les vastes et dispendieuses demeures des princes de la terre, et les chétives maisons des particuliers, suffit pour nous expliquer la même différence dans un ordre d’idées et d’usages, dont nous retrouvons encore, chez les peuples modernes, le même effet, quoique dans un degré inférieur. Mais on ne sauroit mieux donner à entendre le principe de ces prodigieux monumens, que ne l’a fait Diodore de Sicile, lorsqu’il dit, pourquoi les rois d’Egypte employoient à leurs tombeaux ces sommes immenses, qu’en d’autres pays les princes consacrent à la construction de leurs palais. « C’est que (ajoute-t-il) ils ne pensoient pas que la fragilité du corps, pendant sa vie, méritât de solides habitations. Aussi ne regardoient-ils le palais des rois que comme une hôtellerie, qui appartenoit successivement à tous, et où chacun ne faisoit qu’un instant de séjour. Mais leurs tombeaux, ils les considéroient comme leur véritable et particulière habitation, comme leur domicile fixe et perpétuel, et ils n’épargnoient rien pour rendre indestructibles des monumens, qui dévoient être les dépositaires éternels de leur corps et de leur mémoire. »
Les soins que prenoient les auteurs de ces tombeaux pour rendre la retraite de leurs corps introuvable, ne se peuvent bien concevoir, qu’en voyant tout ce que l’art employoit de secrets et de détours pour en dérober l’accès, soit dans les hypogées de Thèbes, soit dans les masses pyramidales de pierre à Memphis. On ignoroit dans quelle chambre de son tombeau reposoit le roi Osymanduas, et l’inscription qu’on y lisoit, portoit : Si quelqu’un veut savoir où je repose, il faut qu’il détruise quelqu’un de ces ouvrages.
De-là certains critiques ont été jusqu’à soupçonner que les pyramides n’étoient que d’immenses cénotaphes, et que les corps des rois étoient déposés dans quelque lieu voisin et souterrain ; enfin que ces grandes masses de pierres n’auroient été élevées, que pour donner le change sur l’endroit positif qu’occupoient les corps, et pour faire de cet endroit une énigme impénétrable, hypothèse fort inutile à combattre.
En effet, quand bien même on l’admettroit, quand on accorderoit, d’après les raisons qu’on en donne, que les corps des rois n’auroient pas été renfermés dans l’espace précis des pyramides, on n’en devroit pas moins les regarder comme des monumens sépulcraux. Leur destination, pour n’avoir pas reçu l’application matérielle de tombeau, n’en auroit pas moins eu l’application morale de la chose, c’est-à-dire, que ces monumens n’en seroient que plus certainement encore la preuve et le résultat d’une opinion religieuse secondée par la vanité humaine, ressorts les plus actifs, principes les plus feconds des ouvrages des arts et de l’architecture.
Et pourquoi contesteroit-on en Egypte le but et la destination de tombeau aux pyramides, lorsqu’on est obligé de reconnoître partout le reste du monde, le même emploi à des monumens qui, moins remarquables et moins dispendieux, si l’on veut, pour le matériel de leur masse, exigèrent d’un autre côté bien d’autres dépenses ? je veux parler des mausolées célèbres des Grecs et des empereurs romains. En Egypte, la pyramide ne demandoit que des pierres équarries. Qui voudroit faire le calcul de la dépense de main-d’œuvre du tombeau de l’empereur Adrien et de quelques autres, avec leurs nombreuses colonnes de marbre, leurs chapiteaux, leurs riches entablemens, leurs statues, leurs bronzes, indépendamment encore de leur somptueuse construction en marbre, pourroit finir par trouver de l’économie dans la plus grande pyramide, ouvrage sans art, et qui ne demanda que du temps, la main-d’œuvre la plus vulgaire, et par conséquent la moins dispendieuse.
Pourquoi un roi d’Egypte n’auroit-il pas pu faire pour son tombeau un monument quatre ou cinq fois plus grand que celui qu’on voit encore à Rome, construit pour sa sépulture par un simple épulon, Caïus Cestius, qui éleva une pyramide de cent quatorze pieds de haut, toute revêtue en marbre blanc ? Enfin doit-il paroître surprenant, que dans un pays où tout prouve, plus que partout ailleurs, les soins extraordinaires apportés à la conservation des morts, les princes aient choisi, pour assurer la durée de leur repos après leur vie, la forme d’édifice qui, de toutes celles de l’art de bâtir, nous est parvenue la plus intègre, el dèslors la plus convenable à la fin pour laquelle on l’employa ?
Des observations locales, faites dans ces derniers temps, par des voyageurs qui ont eu le loisir d’examiner les choses avec plus d’attention, suffiroient seules pour empêcher d’imaginer d’autre emploi aux pyramides que celui de sépulture. On a remarqué, en effet, que toutes les sépultures des anciens Egyptiens sont situées du côté gauche du Nil. Les excavations de Thèbes et celles de la Nubie, qui toutes ont été des cimetières, sont de ce côté, qui étoit celui de l’Afrique. Maintenant les Chrétiens et les Musulmans ont l’usage opposé, et leurs cimetières sont du côté droit du Nil, celui qui regarde l’Asie, à cause de Jérusalem pour les uns, et de la Mecque pour les autres. Une idée semblable auroit-elle guidé les Egyptiens, et le célèbre temple d’Ammon dans l’Oasis, n’auroit-il pas été le motif de cette prédilection pour la rive gauche du Nil, ou peut-être les Egyptiens regar-