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Page:Encyclopédie méthodique - Arts Académiques.djvu/324

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BAL BAL 313

diocre de la mesure, fait le fond de cette sorte de spectacle ; & dans les occasions solemnelles, il est d’une ressource aisée qui supplèe au défaut d’imagination. Un bal est sitôt ordonné, si facilement arrangé ; il faut si peu de combinaisons dans l’esprit pour le rendre magnifique ; il naît tant d’hommes communs, & on en voit si peu qui soient capables d’inventer des choses nouvelles, qu’il étoit dans la nature que les bals de cérémonie une fois trouvés, fussent les fêtes de touts les temps.

Ils se multiplièrent en Grèce, à Rome & dans l’Italie. On y dansoit froidement des danses graves. On n’y paroissoit qu’avec la parure la plus recherchée ; la richesse, le luxe y étaloient avec dignité une magnificence monotone. On n’y trouvoit alors, comme de nos jours, que beaucoup de pompe sans art, un grand faste sans invention, l’air de dissipation sans gaieté.

C’est dans ces occasions que les personnages les plus respectables se faisoient honneur d’avoir cultivé la danse dans leur jeunesse. Socrate est loué des philosophes qui ont vécu après lui, de ce qu’il dansoit comme un autre dans les bals de cérémonie d’Athènes. Platon, le divin Platon mérita leur blâme pour avoir refusé de danser à un bal que donnoit un roi de Syracuse ; & le sévère Caton, qui avoit négligé de s’instruire dans les premiers ans de sa vie, d’un art qui étoit devenu chez les Romains un objet sérieux, crut devoir se livrer à 59 ans, comme le bon M. Jourdain, aux ridicules instructions d’un maître à danser de Rome.

Le préjugé de dignité & de bienséance établi en faveur de ces assemblées, se conserva dans toute l’antiquité. Il passa ensuite dans toutes les conquêtes des Romains, & après la destruction de l’empire, les états qui se formèrent de ses débris retinrent tous cette institution ancienne. On donna des bals de cérémonie jusqu’au temps où le génie trouva des moyens plus ingénieux de signaler la magnificence & le goût des souverains ; mais ces belles inventions n’anéantirent point un usage si connu ; les bals subsistèrent & surent même consacrés aux occasions de la plus haute cérémonie.

Lorsque Louis XII voulut montrer toute la dignité de son rang à la ville de Milan, il ordonna un bal solemnel où toute la noblesse fut invitée. Le roi en fit l’ouverture ; les cardinaux de Saînt-Severin & de Narbonne y dansèrent ; les dames les plus aimables y firent éclater leur goût, leur richesse, leurs grâces.

Philippe II alla à Trente en 1562, pendant la tenue du concile. Le cardinal Hercule de Mantoue qui y présidoit en assembla les pères, pour déterminer la manière dont le fils de l’empereur Charles-Quint y seroit reçu. Un bal de cérémonie fut délibéré à la pluralité des voix. Le jour fut pris ; les dames les plus qualifiées furent invitées, & après un grand festin, selon le cardinal Palavicini, dont j’emprunte ce trait historique, elles dansèrent


avec autant de modestie que de dignité.

La décence, l’honnêteté, la convenance de ces sortes de fêtes étoient au reste, dans ce temps, si solemnellement établies dans l’opinion des hommes, que l’amer Fra-Paolo dans ses déclamations cruelles contre ce concile, ne crut pas même ce trait susceptible de critique.

La reine Catherine de Médicis qui avoit des desseins & qui n’eut jamais de scrupules, égaya ces fêtes, & leur donna même une tournure d’esprit qui y rappella le plaisir. Pendant sa régence, elle mena le roi à Bayonne, où sa fille reine d’Espagne, vint la joindre avec le duc d’Albe, que la régente vouloit entretenir. C’est là qu’elle déploya touts les petits ressorts de sa politique vis-à-vis d’un ministre qui en connoissoit de plus grands, & les ressources de la galanterie vis-à-vis d’une foule de courtisans divisés qu’elle avoit intérêt de distraire de l’objet principal qui l’avoit amenée.

Les ducs de Savoie & de Lorraine, plusieurs autres princes étrangers étoient accourus à la cour de France, qui étoit aussi magnifique que nombreuse. La reine qui vouloit donner une haute idée de son administration, donna le bal deux fois le jour, festins sur festins, fête sur fête. Voici celle où je trouve le plus de variété, de goût & d’invention.

Dans une petite isle située dans la rivière de Bayonne, & qui étoit couverte d’un bois de haute-futaye, la reine fit faire douze grands berceaux qui aboutissoient à un sallon de forme ronde qu’on avoit pratiqué dans le milieu. Une quantité immense de lustres de fleurs furent suspendus aux arbres, & on plaça une table de douze couverts dans chacun des berceaux.

La table du roi, des reines, des princes & des princesses du sang étoit dressée dans le milieu du sallon, en sorte que rien ne leur cachoit la vue des douze berceaux où étoient les tables destinées au reste de la cour.

Plusieurs symphonistes distribués derrière les berceaux & cachés par les arbres, se firent entendre dès que le roi parut. Les filles d’honneur des deux reines, vêtues élégamment, partie en nimphes, partie en nayades, servirent la table du roi. Des satyres qui sortoient du bois leur apportoient tout ce qui étoit nécessaire pour le service.

On avoit à peine joui quelques moments de cet agréable coup-d’œil, qu’on vit successivement paroitre pendant la durée de ce festin, différentes troupes de danseurs & de danseuses représentant les habitants des provinces voisines, qui dansèrent les uns après les autres, les danses qui leur étoient propres, avec les instruments & les habits de leur pays.

Le festin fini, les tables disparurent ; des amphithéâtres de verdure, & un parquet de gazon surent mis en place, comme par magie ; le bal de cérémonie commença ; & la cour s’y distingua par la noble gravité des danses sérieuses, qui étoient


Equitation, Escrime & Danse. Rr