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Page:Encyclopédie méthodique - Arts Académiques.djvu/325

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354 BAL BAL


alors le fond unique de ces pompeuses assemblées.

Ces sortes d’embellissements aux bals de cérémonie, leur ont donné quelquefois un ton de galanterie & d’esprit, qui a pu leur ôter l’uniformité languissante qui leur est propre.

Ceux de Louis XIV turent magnifiques. Ils se ressentoient de cet air de grandeur qu’il imprimoit à tout ce qu’il ordonnoit ; mais il ne fut pas en son pouvoir de les sauver de la monotonie. Il semble que la dignité soit incompatible avec cette douce liberté, qui seule fait naître, entretient & sçait varier le plaisir. En lisant la description que je vais copier ici du bal que donna Louis XIV pour le mariage de M. le duc de Bourgogne, on peut croire avoir vu la description de touts les autres.

On partagea, (dit l’historien que |e ne fais que transcrire), en trois parties égales la gallerie de Versailles, par deux balustrades dorées de quatre pieds de hauteur. La partie du milieu faisoit le centre du bal. On y avoit placé une estrade de deux marches, couverte des plus beaux tapis des Gobelins, sur laquelle on rangea dans le fond des fauteuils de velours cramoisi, garnis de grandes crépines d’or. C’est-là que furent placés le roi & la reine d’Angleterre, madame la duchesse de Bourgogne, les princes & les princesses du sang.

Les trois autres côtés étoient bordés au premier rang de fauteuils fort riches pour les ambassadeurs, les princes & les princesses étrangères, les ducs, les duchesses & les grands officiers de la couronne. D’autres rangs de chaises derrière ces fauteuils étoient remplie par des personnes de considération de la cour & de la ville.

A droite & à gauche du centre du bal étoient des amphithéâtres occupés par la foule des spectateurs ; mais pour éviter la confusion, on n’entroit que par un moulinet l’un après l’autre.

Il y avoit encore un petit amphithéâtre séparé, où étoient placés les vingt-quatre violons du roi avec six hautbois & six flûtes douces.

Toute la gallerie étoit illuminée par de grands lustres de cristal & quantité de girandoles garnies de grosses bougies. Le roi avoit fait prier par billet, tout ce qu’il y a de personnes les plus distinguées de l’un & de l’autre sexe de la cour & de la ville, avec ordre de ne paroître au bal qu’en habits des plus propres & des plus riches ; de sorte que les moindres habits d’hommes coûtoient jusqu’à trois à quatre cents pistoles. Les uns étoient de velours brodé d’or & d’argent, & doublés d’un brocard qui coûtoit jusqu’à cinquante écus l’aune ; d’autres étoient vêtus de drap d’or ou d’argent. Les dames n’étoient pas moins parées : l’éclat de leur pierreries faisoit aux lumières un effet admirable.

Comme j’étois appuyé (continue l’auteur que je copie sur une balustrade vis-à-vis l’estrade où étoit placé le roi, je comptai que cette magnifique assemblée pouvoit être composée de sept à huit cents personnes, dont les différentes parures formoient un spectacle digne d’admiration.


M. & madame de Bourgogne ouvrirent le ial par une courante, ensuite madame de Bourgogne prit le roi d’Angleterre, lui la reine d’Angleterre, elle le roi, qui prit madame de Bourgogne ; elle prit Monseigneur, il prit Madame, qui prit M. le duc de Berri. Ainsi successivement touts les princes & les princesses du sang dansèrent chacun selon son rang.

M. le duc de Chartres, depuis Régent, y dansa un menuet & une sarabande de si bonne grâce ([1]) avec madame la princesse de Conti, qu’ils s’attirèrent l’admiration de toute la cour.

Comme les princes & les princesses du sang étoient en grand nombre, cette première cérémonie fut assez longue pour que le bal fit une pause, pendant laquelle des suisses précédés des premiers officiers de la bouche, apportèrent des tables ambulatoires superbement servies en ambigus, avec des buffets chargés de toutes sortes de rafraîchissemens, qui furent placés dans le milieu du bal, où chacun eut la liberté d’aller manger & boire à discrétion pendant une demi-heure.

Outre ces tables ambulantes, il y avoit une grande chambre à côté de la gallerie qui étoit garnie sur des gradins d’une infinité de bassins remplis de tout ce qu’on peut s’imaginer pour composer une superbe collation dressée d’une propreté enchantée. Monsieur, & plusieurs dames & seigneurs de la cour vinrent voir ces appareils & s’y rafraîchir pendant la pause du bal. Je les suivis aussi, ils prirent seulement quelques grenades, citrons, oranges, & quelques confitures sèches ; mais sitôt qu’ils furent sortis, tout fut abandonné à la discrétion du public, & tout cet appareil fut pillé en moins d’un demi-quart-d’heure, pour ne pas dire dans un moment.

Il y avoit dans une autre chambre deux grands buffets garnis, l’un de toutes fortes de vins, & l’autre de toutes sortes de liqueurs & d’eau rafraichissante. Les buffets étoient séparés par des balustrades, & en dedans une infinité d’officiers du gobelet avoient le soin de donner, à qui en vouloir, tout ce qu’on leur demandoit pour rafraîchissemens pendant tout le temps du bal, qui dura toute la nuit. Le roi en sortit à onze heures avec le roi d’Angleterre, la reine & les princes du sang, pour aller souper. Pendant tout le temps qu’il y fut on ne dansa que des danses graves & sérieuses, où la bonne grâce & la bonne noblesse de la danse parurent dans tout son lustre.

À cette gravité si l’on ajoute les embarras du cérémonial, la froide répétition des danses, les règles rigides établies pour le maintien de l’ordre de ces sortes d’assemblées, le silence, la contrainte, l’inaction de tout ce qui ne danse pas, on trouvera que le bal de cérémonie est de touts les moyens de se réjouir, celui qui est le plus propre à ennuyer.

  1. (1) Bouret lui avoit dédié son histoire de la danse, de laquelle ceci est pris.