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Page:Encyclopédie méthodique - Arts Académiques.djvu/340

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BAL BAL 329


grand ministre sans goût, avoit imaginé & conduit le plus grand nombre des fêtes de la cour de Louis XIII. Les François qui avoient du génie, trouvèrent l’accès difficile & la place prise ; ils se répandirent dans les pays étrangers, & ils y firent éclater l’imagination, la galanterie, & le goût qu’on ne leur avoit pas permis de déployer dans le sein de leur patrie.

La gloire qu’ils y acquirent réjaillit cependant sur elle ; & il est flatteur encore pour nous aujourd’hui, que les fêtes les plus magnifiques & les plus galantes qu’on ait jamais données à la cour d’Angleterre, aient été l’ouvrage des François.

Le mariage de Frédéric, cinquième comte Palatin du Rhin, avec la princesse d’Angleterre, en fut l’occasion & l’objet. Elles commencèrent le premier jour par des feux d’artifices en action sur la Tamise. Idée noble, ingénieuse & nouvelle, qu’on a trop négligée après l’avoir trouvée, & qu’on auroit dû employer toujours à la place de ces dessins sans imagination & sans art, qui ne produisent que quelques étincelles, de la fumée & du bruit.

Ces feux furent suivis d’un festin superbe, dont touts les Dieux de la fable apportèrent les services, en dansant des ballets formés de leurs divers caractères. Un bal éclairé avec beaucoup de goût, dans des salles préparées avec une grande magnificence, termina cette première nuit.

La seconde commença par une mascarade aux flambeaux, composée de plusieurs troupes de masques à cheval. Elles précedoient deux grands chariots éclairés par un nombre immense de lumières cachées avec art aux yeux du peuple, & qui portoient toutes sur plusieurs groupes de personnages qui y étoient placés en différentes positions. Dans des coins dérobés à la vue par des toiles peintes en nuages, on avoit rangé une foule de joueurs d’instrumens. On jouissoit ainsi de l’effet sans en appercevoir la cause, & l’harmonie alors a les charmes de l’enchantement.

Les personnages qu’on voyoit sur ces chariots étoient ceux qui alloient représenter un ballet devant le roi, & dont on formoit par cet arrangement un premier spectacle pour le peuple, dont la foule ne sçauroit à la vérité être admise dans le palais ; mais qui, dans ces occasions, doit toujours être comptée pour beaucoup plus qu’on ne pense.

Toute cette pompe, après avoir traversé la ville de Londres, arriva en bon ordre, & le ballet commença. Le sujet étoit le temple de l’honneur, dont la justice étoit établie solennellement la prêtresse.

Le superbe conquérant de l’Inde, le Dieu des richesses, l’ambition, le caprice cherchèrent en vain à s’introduire dans ce temple. L’honneur n’y laissa pénétrer que l’amour & la beauté, pour chanter l’hymne nuptial des deux nouveaux époux.

Rien n’est plus ingénieux que cette composition, qui respiroit par-tout la simplicité & la galanterie.

Deux jours après, trois cents gentilshommes représentant toutes les nations du monde & divisés par troupes, parurent sur la Tamise dans des bateaux ornés avec autant de richesse que d’art. Ils étoient précédés & suivis d’un nombre infini d’instruments qui jouoient sans cesse des fanfares, en se répondant les uns les autres. Après s’être montrés ainsi à une multitude innombrable, ils arrivèrent au palais du roi, où ils dansèrent un grand ballet allégorique.

La religion réunissant la Grande Bretagne au reste de la terre, étoit le sujet de ce spectacle.

Le théâtre représentoit le globe du monde. La vérité, sous le nom d’Alithie, étoit tranquillement couchée à un des côtés du théâtre. Après l’ouverture, les muses exposèrent le sujet.

Altas parut avec elles. Il dit, qu’ayant appris d’Archimède que si on trouvoit un point ferme, il seroit aisé d’enlever toute la masse du monde, il étoit venu en Angleterre, qui étoit ce point si difficile à trouver, & qu’il se déchargeoit désormais du poids qui l’avoit accablé, sur Alithie, compagne inséparable du plus sage & du plus éclairé des rois.

Après ce récit, le vieillard, accompagné des trois muses, Uranie, Terpsicore & Clio, s’approcha du globe, & il s’ouvrit.

L’Europe, vêtue en reine, en sortit la première, suivie de ses filles, la France, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne & la Grèce. L’Océan & la Méditerranée l’accompagnoient, & ils avoient à leur suite la Loire, le Guadalquivir, le Rhin, le Tibre & l’Achéloüs.

Chacune des filles de l’Europe avoit trois pages caractérisés par les habits de leurs provinces. La France menoit avec elle un Basque, un bas Breton, un Arragonois & un Catalan ; l’Allemagne, un Hongrois, un Bohémien & un Danois, l’Italie, un Napolitain, un Vénitien & un Bergamasque ; la Grèce, un Turc, un Albanois & un Bulgare.

Cette suite nombreuse dansa un avant-ballet ; & des princes de toutes les nations qui sortirent du globe avec un cortège brillant, vinrent danser successivement des entrées de plusieurs caractères, avec les personnages qui étoient déjà sur la scène.

Altas fit enfuite sortir dans le même ordre les autres parties de la terre, ce qui forma une division simple & naturelle du ballet, dont chacun des actes fut terminé par les hommages que toutes ces nations rendirent à la jeune princesse d’Angleterre, & par des présens magnifiques qu’elles lui firent.

Qu’on compare cette fête remplie d’esprit & de variété, avec l’assemblage grossier des parties isolées & sans choix du ballet des prospérités des armes de la France, & on aura une idée juste des effets divers que peut produire dans les beaux arts, le discernement ou le mauvais goût des gens en place.

La minorité de Louis XIV fut en France l’aurore du goût & des beaux arts. Soit que l’esprit se fût développé par la continuité des spectacles publics, qui sont toujours l’école la plus instructive

Equitation, Escrime & Danse.
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