Aller au contenu

Page:Encyclopédie méthodique - Arts Académiques.djvu/339

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
328
BAL BAL


la prudence ; paroît avec sa suite ordinaire. Elle vient retirer quelques François du parti d’Espagne, & son entrée finit le second acte.

Le théâtre représente la mer environnée de rochers, & le récit de trois sirennes commence le troisième acte. Il est composé de plusieurs entrées de néréïdes & de tritons, après lesquelles l’Amérique paroît suivie de ses peuples. Elle présente ses trésors à l’Espagne, portée sur de riches gallions qui couvrent la mer. Dans ce moment les gallions françois se montrent. Ils voguent à pleines voiles contre ceux d’Espagne, les attaquent, les combattent & les brûlent. Le général françois victorieux débarque avec ses troupes & les Maures qu’il a fait esclaves ; & le troisième acte finit par cette entrée de triomphe.

Le ciel s’ouvre au commencement de l’acte quatrième. Vénus, l’amour & les graces qui en descendent font le récit. Mercure, Apollon, Bacchus & Momus accompagnés de leur cortège ordinaire, dansent les premières entrées. L’aigle alors & les lions du premier acte reparoissent. Hercule sort du fond du théâtre pour les combattre ; mais Jupiter descend des cieux. Il touche l’aigle & les lions, pour leur ôter la fureur que les Euménides leur avoient inspirée ; il remet la massue sur l’épaule d’Hercule, comme pour le prier de se contenter de ses exploits, & il danse ensuite la dernière entrée avec toutes les divinités du ciel qui l’accompagnoient.

La terre ornée de fleurs & de verdure formoit la décoration du cinquième acte. La concorde sur une machine élégante & riche, entourée de fleurs & de fruits, parut dans les airs & fit le récit.

L’abondance, les jeux, les plaisirs, la bonne chère composoient la première entrée. Les réjouissances populaires firent la seconde par des danses ridicules & des sauts périlleux. Cardelin, baladin fameux, y dansa sur la corde que des nuages cachoient aux yeux des spectateurs. Son entrée fut, suivie de celles qu’exécutèrent les adresses différentes du corps personnifiées, qui firent leurs exercices sur des Rhinoceros.

Plusieurs admirateurs des conquêtes du roi dansèrent la dernière entrée avec la gloire qui s’envola & se perdit dans les airs. C’est par ce vol que fut terminé ce bisarre spectacle.

Quand je considère (dit un auteur qui avoit approfondi cette matière), que le sujet de ce ballet est la prospérité des armes de la France, je cherche ce sujet dans les entrées des Tritons, des Néréïdes, des Muses, d’Apollon, de Mercure, de Jupiter, de Cardelin, des Rhinocéros, &c.

Cette composition rassemble en effet tout le désordre d’une imagination aussi grande que déréglée, des idées nobles noyées dans un fatras d’objets puériles & sans rapport, un desir excessif d’attirer l’admiration, des recherches déplacées, de l’érudition sans graces, de la poésie inutile, beaucoup de magnificence perdue, & pas la moindre étincelle de goût.

On fit servir à ce spectacle les débris des décorations, des habits, des machines qu’on avoit employés l’année précédente à la représentation de la tragédie de Mirame ; ouvrage si peu fait pour réussir, que tout le pouvoir du premier ministre ne fut pas assez grand pour l’empêcher de tomber ; mais qui, à le considérer philosophiquement, fut cependant le premier fondement de notre théâtre.

Les soins du ministère, ses dépenses, la construction d’une salle nouvelle dans Paris, firent comprendre à la cour & à la ville que les spectacles publics, vus jusqu’alors avec assez d’indifférence, méritoient sans doute quelque considération ; puisqu’ils occupoient la prévoyance, les soins, les sollicitudes d’un ministre que, malgré toute leur haine, ils étoient forcés d’admirer.

C’est faire beaucoup en France pour un art, que de lui donner aux yeux de la multitude un air d’importance, & telle est la supériorité des hommes vraiment grands que leurs défauts même ont presque toujours des côtés utiles.

L’Italie étoit déjà florissante : les cours de Savoie & de Florence avoient montré dans mille occasions leur magnificence & leur galanterie ; Naples & Venise jouissoient des théâtres publics de musique & de danse ; l’Espagne étoit en possession de la comédie ; la tragédie que Pierre Corneille n’avoit trouvée en France qu’à son berceau, s’élevoit rapidement dans ses mains jusqu’au sublime ; notre cour cependant, au milieu de ses triomphes & sous le ministère d’un homme vraiment grand, dont une économie bourgeoise ne borna jamais les dépenses, demeuroit plongée dans la barbarie du mauvais goût. Avec le quart des frais immenses qu’on y employa pendant le règne de Louis XIII pour une multitude presque innombrable de spectacles dont elle ne fut pas plus égayée, & qui ne jettèrent aucune sorte de lustre sur la nation, on auroit pu la rendre l’admiration de l’Europe. Il ne falloit que s’y servir des hommes que le génie & l’art mettoient en état d’imaginer & de conduire ces fêtes continuelles, qu’on avoit véritablement envie de rendre éclatantes.

La France sera toujours un terroir fertile en talens, lorsqu’on sçaura je ne dis pas les cultiver ; il suffit de ne pas les y étouffer dès leur naissance. L’honneur, qu’on me passe le terme, y est l’idole de la nation ; & c’est l’honneur qui fut toujours l’esprit vivifiant des talents en tout genre.

Entre plusieurs personnages médiocres qui entouroient le cardinal de Richelieu, il s’étoit pris de quelque amitié pour Durand, homme maintenant tout-à-fait inconnu, & que je n’arrache aujourd’hui à son obscurité que pour faire connoître combien les préférences ou les dédains des gens en place, qui donnent toujours le ton de leur temps, influent peu cependant sur l’avenir des artistes.

Ce Durand, courtisan sans talents d’un très-

grand