Page:Encyclopédie méthodique - Arts Académiques.djvu/348

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
337
BAL BAL


Principes physiques du vice de l’exécution primitive de l’opéra françois.

En examinant les vues de Quinault, le plan de son spectacle, les belles combinaisons qui y sont répandues, la connoissance profonde des différents arts qu’il y a rassemblés, & qu’on suppose dans ce beau génie ; je me suis demandé mille fois, pourquoi au théâtre, la plus grande partie de ce qu’il m’est démontré que Quinault a voulu faire, semble s’évaporer, se perdre, s’anéantir ; & j’ai cru en voir évidemment la cause dans l’exécution primitive.

Mais pourquoi cette exécution a-t-elle été si défectueuse ? Quelle est la fource des vices qui s’y sont répandus ? L’art n’avoit rien à gagner dans ma première découverte, sans le secours de cette seconde ; & cette recherche une fois faite avec quelque succès, les remèdes étoient aisés, & les progrès de l’art infaillibles.

Or, je crois appercevoîr dans la foiblesse de tous les sujets employés pour l’exécution du plan de Quinault, les principes physiques des défauts sans nombre qui l’ont énervé.

La danse, la musique instrumentale & vocale, l’art de la décoration, celui des machines étoient, pour ainsi dire, au berceau ; & le dessein du poëte auroit exigé des hommes consommés dans touts ces différents genres.

Le plan étoit en grand, comme le sont touts ceux que forme le génie ; & dans la construction de l’édifice, on crut devoir le resserrer, le rétrécir, le mutiler, si je puis me servir de ces expressions, pour le proportionnera la force des sujets, qui étoient employés à le bâtir, & à l’étendue du terrein sur lequel on alloit l’élever. Tout ce peuple d’artistes ; qui ne vit dans Quinault qu’un poëme peu considérable, étoit encore à cent ans loin de lui pour la connoissance de l’art.

Quinault ne fit qu’une faute, qu’une modestie mal entendue lui suggéra, dont ses ennemis se prévalurent, qui a fait méconnoître le genre, & qui en a retardé le progrès, beaucoup plus sans doute, qu’on ne pourra le persuader. Il donna le titre de tragédie à la composition nouvelle qu’il venoit de créer. Boileau, Racine & les autres juges de la littérature françoise y cherchèrent dès-lors touts les différents traits de physionomie du poëme qu’on nommoit communément tragédie, & ils l’apprécièrent à proportion du plus ou du moins de ressemblance qu’ils lui trouvèrent avec ce genre déjà établi.

Par cette fausse dénomination, Quinault les aida lui-même à se bien convaincre, que sa composition n’étoit rien moins qu’un genre tout-à-fait nouveau. Ils ne virent dans Thésée même qu’une tragédie manquée ; ils le dirent & le publièrent ; les échos du parnasse & du monde le répétèrent après eux. Delà Paris, la littérature, les provinces, les étrangers se formèrent une idée fausse du genre, qui s’est conservé jusqu’à nos jours, & que je ne me flatte pas de pouvoir détruire. Ce danger étoit prévenu, si à la place de ce titre, Quinault eût mis à la tête de ses poëmes lyriques, Cadmus, Théfée, Atys, opéra. Ce seul mot auroit donné à Boileau l’idée d’un genre, & cette idée une fois apperçue, sa sagacité & le desir qu’il avoit d’être juste, auroient fait le reste. D’un autre côté, Racine devenu indifférent sur les succès heureux ou malheureux de Quinault, n’auroit plus vu des tragédies autres que les siennes occuper Paris. Il auroit applaudi sans peine Armide opéra. Il étoit peut-être impossible qu’il ne fût pas révolté contre Armide tragédie.

L’opéra françois, tel qu’on le forma dans sa nouveauté, fut reçu de la nation avec un applaudissement presque unanime ; parce que les lumières des spectateurs sur le genre & sur touts les arts qu’on y avoit rassemblés, étoient en proportion avec les forces, le talent, & l’art des sujets employés pour l’exécuter. Tout l’honneur de ce succès fut pour Lully. Le public étoit enchanté de la représentation, & il entendit dire que les poëmes de Quinault étoient mauvais. Par un méchanisme fort simple, il crut que tout le charme étoit dans la musique, & Lully le lui laissa croire.

Lully fut dès-lors regardé comme un compositeur, comme un modèle, les ballets comme des chefs-d’œuvre de la danse, les machines comme le dernier effort de la méchanique, les décorations comme des prodiges de peinture. Au milieu de ce mouvement universel, Quinault cependant fut à peine apperçu. On ne vit de son ouvrage que les endroits défectueux que ses ennemis relevèrent. Tout ce qui n’étoit pas du poëte en apparence, fut élevé jusqu’aux nues ; tout ce qui parut dans le poëme plus foible que la tragédie françoise, fut tout-à-fait dédaigné. L’opéra ravissoit la nation, & dans le même temps elle méconnoissoit ou méprisoit le génie fécond qui venoit de le faire naître. Lully mourut ; les traditions de tout ce qu’il avoit fait sur son théâtre restèrent. On crut ne pouvoir mieux faire que de suivre littéralement & servilement ce qui avoit été pratiqué sous les yeux d’un homme pour lequel on conservoit un enthoufiasme qui a manqué d’anéantir l’art. Il est arrivé delà que les vices primitifs ont subsisté dans l’opéra françois, pendant que les connoissances des spectateurs se sont accrues. Le charme, qui cachoit les défauts, s’est dissipé peu-à-peu par l’habitude, & les défauts sont restés. Il n’y a pas dix ans que la danse a osé produire quelques figures différentes de celles que Lully avoit approuvées, & j’ai vu fronder comme des nouveautés pernicieuses, les premières actions qu’on a voulu y introduire.

Sur un théâtre créé par le génie, pour mettre dans un exercice continuel la prodigieuse fécondité des arts, on n’a chanté, on n’a dansé, on n’a entendu, on n’a vu constamment que les mêmes choses & de la même manière, pendant le long espace de plus de soixante ans. Les acteurs, les danseurs, l’orchestre, le décorateur, le machiniste ont crié au schisme, & presque à l’impiété, lorsqu’il s’est trouvé par hasard quelque esprit assez hardi pour tenter d’agrandir & d’étendre le cercle

Equitation, Escrime & Danse.
V v