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dont, malgré les lumières que nous acquérons tous les jours, nous avons bien de la peine à nous défaire. Cependant, à force de réflexions & de complaisance, on souffrit enfin au théâtre lyrique deux sortes de plaisirs ; mais ce genre trouvé par la Motte, dont on n’attribua le succès, suivant l’usage, qu’au musicien qu’il avoit instruit & guidé, nous débarrassa du mauvais genre que Quinault avoit introduit sous le titre de ballet.

L’Europe galante est le premier de nos ouvrages lyriques qui n’a point ressemblé aux opéras de Quinault. Ce genre appartient tout-à-fait à la France. Les Grecs, les Romains n’eurent aucun spectacle qui puisse en avoir donné l’idée. Peut-être quelques fêtes épisodiques qui m’ont frappé dans Quinault l’ont-elles fournie à la Motte ; quoi qu’il en soit, ce spectacle n’en est pas moins une composition originale qui auroit dû combler de gloire le poëte qui l’a imaginée. Ses contemporains ont été injustes. Il a vécu sans jouir. La postérité le vengera sans doute, & déja l’envie qui se sert du mérite des morts pour éclipser celui des vivants, a commencé de nos jours la réputation de ce poëte philosophe.

Le théâtre lyrique qui lui doit le ballet moderne, lui est redevable encore de deux genres aimables, qui pouvoient procurer à la musique des moyens de se varier, & à la danse des occasions heureuses de se développer, si ces deux arts avoient fait alors en France des progrès proportionnés à ceux de touts les autres. Ce poëte à porté à l’opéra la pastorale & l’allégorie. Il est galant, tendre, original dans les compositions qu’il n’a imaginées que d’après lui. Il peut marcher alors à côté de Quinault. L’Europe Galante, Issé, le Carnaval & la Folie ne sont pas inférieurs aux meilleurs opéras de ce beau génie ; mais il est froid, insipide, languissant dans touts ses autres ouvrages lyriques, & tel que ses ennemis l’ont cru ou l’ont voulu faire croire. Il y a des hommes dans la littérature qui sont faits pour voler de leurs propres ailes ; & alors ils s’élèvent jusques dans le ciel. Ils retombent dès qu’ils imitent. Ce ne sont plus même des hommes ; ils grimacent comme des singes.

De l’essence des ballets.

La poésie, la peinture & la danse ne sont ou ne doivent être qu’une copie fidelle de la belle nature. C’est par la vérité de l’imitation que les ouvrages de Racine & de Raphaël ont passé à la postérité, après avoir obtenu (ce qui est assez rare) les suffrages même de leur siècle. Que ne pouvons-nous joindre aux noms de ces grands hommes, ceux des maîtres de ballets qui se sont rendus célèbres dans leurs temps ! mais à peine les connoît-on ; est-ce la faute de l’art ? est-ce la leur ?

Un ballet est un tableau, ou plutôt une suite de tableaux liés entre eux par l’action qui fait le sujet du ballet ; la scène est, pour ainsi dire, la toile sur laquelle le compositeur rend ses idées ; le choix de la musique, la décoration, le costume en sont le coloris ; le compositeur est le peintre. Si la nature lui a donné ce feu & cet enthousiasme, ame de touts les arts imitateurs, l’immortalité ne peut-elle pas lui être assurée ? Pourquoi ne connoissons-nous aucuns maîtres de ballets ? C’est que les ouvrages de ce genre ne durent qu’un instant, & sont effacés presque aussitôt que l’impression qu’ils ont produite ; c’est qu’il ne reste aucuns vestiges des plus sublimes productions de Batyle & de Pylades. A peine conserve-t-on une idée de ces pantomimes si célèbres dans le siècle d’Auguste.

Du moins si ces grands compositeurs ne pouvant transmettre à la postérité leurs tableaux fugitifs, nous eussent au moins transmis leurs idées, leurs principes sur leur art. S’ils eussent tracé les règles d’un genre dont ils étoient créateurs, leurs noms & leurs écrits auroient traversé l’immensité des âges, & ils n’auroient pas consacré leurs peines & leurs veilles pour la gloire d’un moment. Ceux qui les ont suivis auroient eu des principes, & l’on n’auroit pas vu périr l’art de la pantomime & du geste, portés jadis à un point qui étonne encore l’imagination.

Depuis la perte de cet art, personne n’a cherché à le retrouver ou à le créer, pour ainsi dire, une seconde fois. Effrayés des difficultés de cette entreprise, mes prédécesseurs y ont renoncé, n’ont même fait aucune tentative, & ont laissé subsister un divorce qui paroissoit devoir être éternel entre la danse purement dite & la pantomime.

Plus hardi qu’eux, peut-être avec moins de talens, j’ai osé deviner l’art de faire des ballets en action, de réunir l’action à la danse, de lui donner des caractères, des idées. J’ai osé me frayer des routes nouvelles. L’indulgence du public m’a encouragé, elle m’a soutenu dans ces crises capables de rebuter l’amour-propre ; & mes succès semblent m’autoriser à satisfaire la curiosité publique sur un art que l’on aime, & auquel j’ai consacré touts mes moments.

Depuis le règne d’Auguste jusqu’à nos jours, les ballets n’ont été que de foibles esquisses de ce qu’ils peuvent être encore. Cet art, enfant du génie & du goût, peut s’embellir, se varier à l’infini. L’histoire, la fable, la peinture, touts les arts se réunissent pour le tirer de l’obscurité où il est enseveli ; & l’on s’étonne que les compositeurs aient dédaigné des secours si puissans.

Les programmes des ballets qui ont été donnés il y a un siècle ou environ, dans les différentes cours de l’Europe, feroient soupçonner que cet art (qui n’étoit rien encore), loin d’avoir fait des progrès, s’est de plus en plus affoibli. Ces sortes de traditions, il est vrai, sont toujours fort suspectes. Il en est des ballets comme des fêtes en général ; rien de si beau, de si séduisant sur le papier, & souvent rien de si maussade & de si mal entendu à l’exécution.

Cet art n’est resté dans l’enfance que parce qu’on en a borné les effets à celui de ces feux d’artifices

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