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BAL BAL


au dedans de nous-mêmes.

Il ne faut à la danse qu’un beau modèle, un homme de génie, & les ballets changeront de caractère ; qu’il paroisse ce restaurateur de la vraie danse, ce réformateur du faux goût & des habitudes vicieuses qui ont appauvri l’art ; mais qu’il paroisse dans la capitale. S’il veut persuader, qu’il dessile les yeux trop fascinés des jeunes danseurs, & qu’il leur dise, enfans de Terpsichore, renoncez aux cabrioles, aux entrechats & aux pas trop compliqués ; abandonnez la minauderie pour vous livrer au sentiment, aux grâces naïves & à l’expression ; appliquez-vous à la pantomime noble ; n’oubliez jamais qu’elle est l’ame de votre art ; mettez de l’esprit & du raisonnement dans vos pas de deux ; que la volupté en caractérise la marche, & que le goût en distribue toutes les situations ; quittez ces masques froids, copies imparfaites de la nature ; ils dérobent vos traits ; ils éclipsent, pour ainsi dire, votre ame, & vous privent de la partie la plus nécessaire à l’expression ; défaites vous de ces perruques qui font perdre à la tête les justes proportions quelle doit avoir avec le corps ; secouez l’usage de ces paniers roides & guindés qui privent l’exécution de ses charmes, qui défigurent l’élégance des attitudes, & qui effacent la beauté des contours que le buste doit avoir dans ses différentes positions.

Renoncez à cette routine servile qui retient l’art à son berceau ; voyez tout ce qui est relatif à votre talent ; soyez original ; faites-vous un genre d’après les études que tous aurez faites ; copiez, mais ne copiez que la nature ; c’est un beau modèle, elle n’égara jamais ceux qui l’ont suivie.

Et vous, jeunes gens, qui voulez faire des ballets, & qui croyez que, pour y réussir, il ne s’agit que d’avoir figuré deux ans sous un homme de talent, commencez par en avoir. Sans feu, sans esprit, sans imagination, sans goût & sans connoissances, osez-vous vous flatter d’être peintres ? Vous voulez composer d’après l’histoire, & vous ne la connoissez pas : appliquez-vous à l’étudier ; que vos ballets soient des poëmes ; apprenez l’art d’en faire un beau choix. N’entreprenez jamais de traiter de grands dessins sans en avoir fait un plan raisonné ; jettez vos idées sur le papier, relisez-les cent fois ; divisez votre drame par scènes ; que chacune d’elles soit intéressante, & conduise successivement sans embarras, sans inutilités, à un dénouement heureux ; évitez soigneusement les longueurs ; elles refroidissent l’action & en rallentissent la marche ; songez que les tableaux & les situations sont les plus beaux momens de la composition ; faites danser vos figurans & vos figurantes, mais qu’ils parlent & qu’ils peignent en dansant ; qu’ils soient pantomimes, & que les passions les métamorphosent à chaque instant. Si leurs gestes & leurs physionomies sont sans cesse d’accord avec leur ame, l’expression qui en résultera sera celle du sentiment, & vivifiera votre ouvrage. N’allez jamais à la répétition la tête pleine de figures & vuide de bon sens ; soyez pénétrés de votre sujet ; l’imagination vivement frappée de l’objet que vous voudrez peindre, vous fournira les traits, les pas & les gestes convenables. Vos tableaux auront du feu, de l’énergie ; ils seront pleins de vérité, lorsque vous serez affectés & remplis de vos modèles. Portez l’amour de votre art jusqu’à l’enthoufiasme. On ne réussit dans les compositions théâtrales qu’autant que le cœur est agité, que l’ame est vivement émue, que l’imagination est embrasée.

Etes-vous tiède au contraire, votre sang circule-t-il paisiblement dans vos veines ? votre cœur est-il de glace ? votre ame est-t-elle insensible ? renoncez au théâtre ; abandonnez un art qui n’est pas fait pour vous. Livrez-vous à un métier où les mouvements de l’ame soient inutiles, où le génie n’a rien à faire, & où il ne faut que des bras & des mains.

Ces avis donnés & suivis, délivreroient la scène d’une quantité innombrable de mauvais danseurs, de mauvais maîtres de ballets, & enrichiroient les forges & les boutiques des artisans d’un très-grand nombre d’ouvriers plus utiles aux besoins de la société, qu’ils ne l’étoient à ses amusements & à ses plaisirs.

Des connoissances nécessaires aux compositeurs de ballets.

Pour convaincre de la difficulté qu’il y a d’exceller dans cet art, je vais faire l’esquisse des connoissances que nous devrions avoir ; connoissances qui, tout indispensables qu’elles sont, ne caractérisent cependant pas distinctement le maître de ballets ; car on pourroit les posséder sans être capable de composer le moindre tableau, de créer le moindre grouppe, & d’imaginer la moindre situation.

A en juger par la quantité prodigieuse des maîtres en ce genre qui se trouvent répandus dans l’Europe, on seroit tenté de croire que cet art est aussi facile qu’il est agréable ; mais ce qui prouve clairement qu’il est mal-aisé d’y réussir & de le porter à la perfection, c’est que ce titre de maître de ballets, si légèrement usurpé, n’est que trop rarement mérité. Nul d’entre eux ne peut exceller, s’il n’est véritablement favorisé par la nature. De quoi peut-on être capable sans le secours du génie, de l’imagination & du goût ? Comment surmonter les obstacles, applanir les difficultés, & franchir les bornes de la médiocrité, si l’on n’a reçu en partage le germe de son art, si l’on n’est enfin doué de touts les talents que l’étude ne donne point, qui ne peuvent s’acquérir par l’habitude, & qui, innés dans l’artiste, sont les forces qui lui prêtent des ailes, & qui l’élèvent d’un vol rapide au plus haut point de perfection & au plus haut degré de son art ?

Si vous consultez Lucien, vous apprendrez de lui toutes les qualités qui distinguent & qui caractérisent le grand maître de ballets, & vous verrez que l’histoire, la fable, les poèmes de l’antiquité &