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ques, les guinguettes, les amusements & les travaux de la campagne, une noce villageoise, la chasse, la pêche, les moissons, les vendanges, la manière rustique d’arroser une fleur, de la présenter à sa bergère, de dénicher des oiseaux, de jouer du chalumeau, tout lui offre des tableaux pittoresques & variés, d’un genre & d’un coloris différens.

Un camp, des évolutions militaires, les exercices, les attaques & les défenses des places, un port de mer, une rade, un embarquement & un débarquement ; voilà des images qui doivent attirer nos regards, & porter notre art à sa perfection, si l’exécution en est naturelle.

Les chefs-d’œuvre de Racine, de Corneille, de Voltaire, de Crébillon, ne peuvent-ils pas encore servir de modèle à la danse dans le genre noble ? Ceux de Molière, de Regnard & de plusieurs auteurs célèbres, ne nous présentent-ils pas des tableaux d’un genre moins élevé ? Je vois le peuple dansant se récrier à cette proportion ; je l’entends qui me traite d’insensé : mettre des tragédies & des comédies en danse, quelle folie ; y a-t-il de la possibilité ? oui sans doute ; resserrez l’action de l’avare, retranchez de cette pièce tout dialogue tranquille, rapprochez les incidents, réunissez touts les tableaux épars de ces drames, & vous réussirez.

Vous rendrez intelligiblement la scène de la bague, celle où l’avare fouille la flêche, celle où Frosine l’entretient de sa maîtresse ; vous peindrez le désespoir & la fureur d’Harpagon, avec des couleurs aussi vives que celles que Molière a employées, si toutefois vous avez une ame. Tout ce qui peut servir à la peinture doit servir à la danse ; que l’on me prouve que les pièces des auteurs que je viens de nommer sont dépourvues de caractère, dénuées d’intérêt, privées de situations fortes, & que Boucher & Vanloo ne pourront jamais imaginer, d’après ces chefs-d’œuvre, que des tableaux froids & désagréables ; alors je conviendrai que ce que j’ai avancé n’est qu’un paradoxe ; mais s’il peut résulter de ces pièces une multitude d’excellens tableaux, j’ai gain de cause ; ce n’est plus ma faute si les peintres pantomimes nous manquent, & si le génie ne fraie point avec nos danseurs.

Batyle, Pilade, Hylas, ne succédèrent ils pas aux comédiens, lorsque ceux-ci furent bannis de Rome ? Ne commencèrent-ils pas à représenter en pantomime les scènes des meilleures pièces de ce temps ? Encouragés par leurs succès, ils tentèrent de jouer des actes séparés, & la réussite de cette entreprise les détermina enfin à donner des pièces entières, qui furent reçues avec des applaudissements universels.

Mais ces pièces, dira-t-on, étoient généralement connues ; elles servoient, pour ainsi dire, de programme aux spectateurs, qui, les ayant gravées dans la mémoire, suivoient l’acteur sans peine, & le devinoient même avant qu’il s’exprimât. N’aurons-nous pas les mêmes avantages, lorsque nous mettrons en danse les drames les plus estimés de notre théâtre ? Serions-nous moins bien organisés que les danseurs de Rome ? & ce qui s’est fait du temps d’Auguste, ne peut-il se faire aujourd’hui ? Ce seroit avilir les hommes que de le penser, & dépriser le goût & l’esprit de notre siècle, que de le croire.

Revenons à mon sujet. Il faut qu’un maître de ballets connoisse les beautés & les imperfections de la nature. Cette étude le déterminera toujours à en faire un beau choix ; ces peintures d’ailleurs, pouvant être tour-à-tour historiques, poétiques, critiques, allégoriques & morales, il ne peut se dispenser de prendre des modèles dans touts les rangs, dans touts les états, dans toutes les conditions. A-t-il de la célébrité, il pourra, par la magie & les charmes de son art, ainsi que le peintre & le poëte, faire détester & punir les vices, récompenser & chérir les vertus.

Si le maître de ballets doit étudier la nature & en faire un beau choix ; si le choix des sujets qu’il veut traiter en danse, contribue en partie à la réussite de son ouvrage, ce n’est qu’autant qu’il aura l’art & le génie de les embellir, de les disposer & de les distribuer d’une manière noble & pittoresque.

Veut-il peindre, par exemple, la jalousie & touts les mouvements de fureur & de désespoir qui la suivent, qu’il prenne pour modèle un homme dont la férocité & la brutalité naturelle soit corrigée par l’éducation ; un porte-faix seroit dans son genre un modèle aussi vrai, mais il ne seroit pas si beau ; le bâton dans ses mains suppléeroit au défaut d’expression ; & cette imitation, quoique prise dans la nature, révolteroit l’humanité, & ne traceroit que le tableau choquant de ses imperfections. D’ailleurs, l’action d’un crocheteur jaloux sera moins pittoresque que celle d’un homme dont les sentimens seront élevés. Le premier se vengera dans l’instant, en faisant sentir le poids de son bras ; le second, au contraire, luttera contre les idées d’une vengeance aussi basse que déshonorante ; ce combat intérieur de la fureur & de l’élévation de l’ame, prêtera de la force & de l’énergie à sa démarche, à ses gestes, à ses attitudes, à sa physionomie, à ses regards : tout caractérisera sa passion ; tout décèlera la situation de son cœur ; les efforts qu’il fera sur lui-même pour modérer les mouvements dont il sera tourmenté, ne serviront qu’à les faire éclater avec plus de véhémence & de vivacité ; plus sa passion sera contrainte, plus la chaleur sera concentrée, & plus l’effet sera attachant.

L’homme grossier & rustique ne peut fournir au peintre qu’un seul instant ; celui qui suit sa vengeance, est toujours celui d’une joie basse & triviale. L’homme bien né lui en présente au contraire une multitude ; il exprime sa passion & son trouble de cent manières différentes, & l’exprime tou-