Page:Encyclopédie méthodique - Arts Académiques.djvu/361

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
350
BAL BAL


jours avec autant de feu que de noblesse ; que d’oppositions & de contrastes dans ses gestes ! que de gradations & de dégradations dans ses emportemens ! que de nuances & de transitions différentes sur sa physionomie ! que de vivacité dans ses regards ! quelle expression, quelle énergie dans son silence ! l’instant où il est détrompé offre encore des tableaux plus variés, plus séduisans, & d’un coloris plus tendre & plus agréable. Ce sont touts ces traits que le maître de ballets doit saisir.

Les compositeurs célèbres, ainsi que les poëtes & les peintres illustres se dégradent toujours, lorsqu’ils emploient leur temps & leur génie à des productions d’un genre bas & trivial. Les grands hommes ne doivent créer que de grandes choses, & abandonner toutes celles qui sont puériles à ces êtres subalternes, à ces demi-talents, dont l’existence ne marque que par le ridicule.

La nature ne nous offre pas toujours des modèles parfaits ; il faut donc avoir l’art de les corriger, de les placer dans des dispositions agréables, dans des jours avantageux, dans des situations heureuses, qui, dérobant aux yeux ce qu’ils ont de défectueux, leur prêtent encore les grâces & les charmes qu’ils devroient avoir, pour être vraiment beaux.

Le difficile, comme je l’ai déjà dit, est d’embellir la nature, sans la défigurer ; de favoir conserver touts ses traits, & d’avoir le talent de les adoucir ou de leur donner de la force. L’instant est l’ame des tableaux ; il est mal-aisé de le saisir, encore plus mal-aisé de le rendre avec vérité. La nature ! la nature ! & nos compositions seront belles : renonçons à l’art, s’il n’emprunte ses traits, s’il ne se pare de sa simplicité ; il n’est séduisant qu’autant qu’il se déguise, & il ne triomphe véritablement, que lorsqu’il est méconnu & qu’on le prend pour elle.

Je crois qu’un maître de ballets, qui ne fait point parfaitement la danse, ne peut composer que médiocrement. J’entends par danse, le sérieux ; il est la base fondamentale du ballet. En ignore-t-on les principes ? on a peu de ressources ; il faut dès - lors renoncer au grand, abandonner l’histoire, la fable, les genres nationaux, & se livrer uniquement à ces ballets de paysans, dont on est rebattu & ennuyé depuis Fossan, cet excellent danseur comique, qui rapporta en France la fureur de sauter. Je compare la belle danse à une mère-langue ; les genres mixtes & corrompus qui en dérivent, à ces jargons que l’on entend a peine, & qui varient à proportion que l’on s’éloigne de la capitale, où règne le langage épuré.

Le mélange des couleurs, leur dégradation & les effets qu’elles produisent à la lumière, doivent fixer encore l’attention du maître de ballets ; ce n’est que d’après l’expérience, que j’ai senti le relief que ces effets donnent aux figures, la netteté qu’ils répandent dans les formes, & l’élégance qu’ils prêtent aux grouppes. J’ai fuivi, dans les jalousies, ou les fêtes du serrail, la dégradation des lumières que les peintres observent dans leurs tableaux : les couleurs fortes & entières tenoient la première place & formoient les parties avancées de celui-ci ; les couleurs moins vives & moins éclatantes étoient employées ensuite. J’avois réservé les couleurs tendres & vaporeuses pour les fonds ; la même dégradation étoit observée encore dans les tailles. L’exécution se ressentit de cette heureuse distribution ; tout étoit d’accord, tout étoit tranquille ; rien ne se heurtoit, rien ne se détruisoit ; cette harmonie séduisoit l’œil, qui embrassoit toutes les parties sans se fatiguer ; mon ballet eut d’autant plus de fuccés, que, dans celui que j’ai intitulé le ballet chinois, & que je remis a Lyon, le mauvais arrangement des couleurs & leur mélange choquant blessoit les yeux ; toutes les figures papillottoient & paroissoient confuses, quoique dessinées correctement ; rien enfin ne faisoit l’effet qu’a auroit dû faire. Les habits tuèrent, pour ainsi dire, l’ouvrage, parce qu’ils étoient dans les mêmes teintes que la décoration : tout étoit riche, tout étoit brillant en couleurs ; tout éclatoit avec la même prétention ; aucune partie n’étoit sacrifiée, & cette égalité dans les objets privoit le tableau de son effet, parce que rien n’étoit en opposition. L’œil du spectateur fatigué, ne distinguoit aucune forme. Cette multitude de danseurs, qui trainoient après eux le brillant de l’oripeau & l’assemblage bitarre des couleurs, éblouissoient les yeux, sans les satisfaire. La distribution des habits étoit telle, que l’homme cessoit de paroître dès l’instant qu’il cessoit de se mouvoir ; cependant ce ballet fut rendu avec toute la précision possible. La beauté du théâtre lui donnoit une élégance & une netteté, qu’il ne pouvoit avoir à Paris, sur celui de M. Monnet ; mais, soit que les habits & la décoration n’aient pas été d’accord, soit enfin que le genre que j’ai adopté l’emporte sur celui que j’ai quitté, je suis obligé de convenir, que de tous mes ballets, c’est celui qui a fait ici le moins de sensation.

La dégradation dans les tailles & dans les couleurs des vêtements, est inconnue au théâtre ; ce n’est pas la seule partie qu’on y néglige : mais cette négligence ne me paroit pas excusable dans de certaines circonstances, sur-tout à l’opéra, théâtre de la fiction ; théâtre ou la peinture peut déployer tous ses trésors ; théâtre qui, souvent dénué d’action forte & privé d’intérêt vif, doit être riche en tableaux de touts les genres, ou du moins devroit l’être.

Une décoration, de quelque espèce qu’elle soit, est un grand tableau préparé pour recevoir des figures. Les actrices & les acteurs, les danseurs & les danseuses sont les perfonnages qui doivent l’orner & l’embellir ; mais pour que ce tableau plaise & ne choque point la vue, il faut que de justes proportions brillent également dans les différentes parties qui le composent.

Si, dans une décoration représentant un temple ou un palais or & azur, les habillements des acteurs sont bleu & or, ils détruiront l’effet de la décoration, & la décoration, à son tour, privera les habits de l’éclat qu’ils auroient eu sur un fond plus