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Page:Encyclopédie méthodique - Arts Académiques.djvu/362

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BAL BAL 351


tranquille. Une telle distribution dans les couleurs éclipsera le tableau ; le tout ne formera qu’un camaïeu & ce coup-d’œil prêtera son uniformité & sa froideur à l’action.

Les couleurs des draperies & des habillements doivent trancher sur la décoration, je la compare à un beau fond : s’il n’est tranquille, s’il n’est harmonieux, si les couleurs en sont trop vives & trop brillantes, il détruira le charme du tableau ; il privera les figures du relief qu’elles doivent avoir ; rien ne se détachera, parce que rien ne sera ménagé avec art, & le papillotage qui résultera de la mauvaise entente des couleurs, ne présentera qu’un panneau de découpures, enluminé sans goût & sans intelligence.

Dans les décorations d’un beau simple & peu varié de couleurs, les habits riches & éclatants peuvent être admis, ainsi que touts ceux qui seront coupés par des couleurs vives & entières.

Dans les décorations de goût & d’idée, comme palais chinois, place publique de Constantinople, ornés pour une fête, genre bisarre, qui ne soumet la composition à aucune règle sévère, qui laisse un champ libre au génie, & dont le mérite augmente à proportion de la singularité que la peinture y répand ; dans ces sortes de décorations, dis-je, brillantes en couleurs, chargées d’étoffes rehauffées d’or & d’argent, il faut des habits drappés dans le costume, mais il les faut simples & dans des nuances entiérement opposées à celles qui éclatent le plus dans la décoration. Si l’on n’observe exactement cette règle, tout se détruira faute d’ombres & d’oppositions ; tout doit être d’accord, tout doit être harmonieux au théâtre : lorsque la décoration sera faite pour les habits, & les habits pour la décoration, le charme de la représentation sera complet.

Les artifies sur-tout & les gens de goût sentiront la justesse & l’importance de cette observation.

La dégradation des tailles ne doit pas être observée moins scrupuleusement, dans les instants où la danse fait partie de la décoration. L’olympe ou le parnasse sont du nombre de ces morceaux où le ballet forme & compose les trois quarts du tableau ; morceaux qui ne peuvent séduire & plaire, si le peintre & le maître de ballets ne sont d’accord sur les proportions, la distribution & les attitudes des personnages.

Dans un spectade aussi riche en ressources que celui de notre opéra, n’est-il pas choquant & ridicule, de ne point trouver de dégradation dans les tailles, lorsqu’on s’y attache & qu’on s’en occupe dans les morceaux de peinture, qui ne sont qu’accessoires au tableau ? Jupiter, par exemple, au haut de l’olympe, ou Apollon au sommet du Parnasse, ne devroient-ils pas paroître plus petits, à raison de l’éloignement, que les divinités & les Muses, qui, étant au-dessous d’eux, sont plus rapprochées du spectateur ? Si, pour faire illusion, le peintre se soumet aux règles de la perspective, d’où vient que le maître de ballets, qui est peintre lui-même, ou qui devroit l’être, en secoue le joug ? Comment les tableaux plairont-ils, s’ils ne sont vraisemblables, s’ils sont sans proportion, & s’ils pèchent contre les règles que l’art a puisées dans la nature, par la comparaison des objets ? C’est dans les tableaux fixes & tranquilles de la danse, que la dégradation doit avoir lieu ; elle est moins importante dans ceux qui varient & qui se forment en dansant. J’entends par tableaux fixes, tout ce qui fait grouppe dans l’éloignement, tout ce qui est dépendant de la décoration, & qui d’accord avec elle, forme une grande machine bien entendue.

Mais comment, me direz-vous, observer cette dégradation ? Si c’est Vestris qui danse Apollon, faudra t-il priver le ballet de cette ressource, & sacrifier tout le charme qu’il y répandra, au charme d’un seul instant ? Non certes ; mais on prendra pour le tableau tranquille, un Apollon proportionné aux différentes parties de la machine ; un jeune homme de quinze ans, que l’on habillera de même que le véritable Apollon ; il descendra du Parnaffe, & à l’aide des aîles de la décoration, on l’escamotera, pour ainsi dire, en substituant à sa taille élégante le talent supérieur.

C’est par des épreuves réitérées, que je me suis convaincu des effets admirables que produisent les dégradations. Le premier essai que j’en fis & qui me réussit, fut dans un ballet de chasseurs ; & cette idée peut-être neuve dans les ballets, fut enfantée par l’impression que me fit une faute groffière de M. Servandoni ; faute d’inattention, & qui ne peut détruire le mérite de cet artiste : c’étoit, je crois, dans la représentation de la ' 'forêt enchantée', spectacle plein de beautés & tiré du Taffe. Un pont fort éloigné étoit placé à la droite du théâtre ; un grand nombre de cavaliers défiloient ; chacun d’eux avoit l’air & la taille gigantesque, & paroissoit beaucoup plus grand que la totalité du pont ; les chevaux postiches étoient plus petits que les hommes, & ces défauts de proportion choquèrent les yeux même les moins exercés. Ce pont pouvoit avoir de justes proportions avec la décoration, mais il n’en avoit pas avec les objets vivants qui devoient le passer : il falloit donc ou les supprimer, ou leur en substituer de plus petits ; des enfants, par exemple, montés sur des chevaux modelés, proportionnés à leurs tailles & au pont, qui, dans cette circonstance, étoit la partie qui devoit régler & déterminer le décorateur, auroient produit l’effet le plus séduisant & le plus vrai.

J’essayai donc, dans une chasse, d’exécuter ce que i’avois desiré dans le spectade de Servandoni ; la décoration représentoit une forêt, dont les routes étoient parallèles au spectateur. Un pont terminoit le tableau ; en laissant voir derrière lui un paysage fort éloigné. J’avois divisé cette entrée en six classes toutes dégradées ; chaque classe était composée de trois chasseurs & de trois chasseresses, ce qui formoit en tout le nombre de trente six figurants ou figurantes : les tailles de la première classe traversoient la route la plus proche du spectateur ;