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sades & aussi ridicules : ils veulent saisir la précision, la gaieté & la belle formation des enchaînements de M. Lany, & ils sont détestables. Toutes les femmes veulent danser comme mademoiselle Lany, & toutes les femmes en ce cas ont des prétentions très-ridicules. Enfin l’opéra est, si j’ose m’exprimer ainsi, le spectacle des singes. L’homme s’évite ; il craint de se montrer avec ses propres traits ; il en emprunte toujours d’étrangers, & il rougiroit d’être lui : aussi faut-il acheter le plaisir d’admirer quelques bons originaux, par l’ennui de voir une multitude de mauvaises copies qui les précèdent. Que veulent dire d’ailleurs cette quantité d’entrées seules, qui ne tiennent & ne ressemblent à rien ? Que signifient touts ces corps sans ame, qui se promènent sans grâces, qui se déploient sans goût, qui pirouettent sans aplomb, sans fermeté, & qui se succèdent d’acte en acte avec le même froid ? Pourrons-nous donner le titre de monologue à ces sortes d’entrées dépourvues d’intérêt & d’expression ? Non sans doute, car le monologue tient à l’action ; il marche de concert avec la scène, il peint, il retrace, il instruit. Mais comment faire parler une entrée seule, me direz-vous ? Rien de si facile, & je vais le prouver clairement.

Deux bergers, par exemple, épris d’une bergère, la pressent de se décider & de faire un choix : Thémire, c’est le nom de la bergère, hésite, balance, elle n’ose nommer son vainqueur : sollicitée vivement, elle cède enfin à l’amour & donne la préférence à Aristée : elle fuit dans le bois pour cacher sa défaite ; mais son vainqueur la suit pour jouir de son triomphe. Tircis abandonné, Tircis méprisé, peint son trouble & sa douleur : bientôt la jalousie & la fureur s’emparent de son cœur ; il s’y livre tout entier, & il m’avertit par sa retraite qu’il court à la vengeance & qu’il veut immoler son rival. Celui-ci paroît un instant après : touts ses mouvements me tracent l’image du bonheur ; ses gestes, ses attitudes, sa physionomie, ses regards, tout me présente le tableau du sentiment & de la volupté. Tircis au désespoir, cherche son rival, & il l’apperçoit dans le mornent où il exprime la joie la plus délicieuse & la plus pure. Voilà des contrastes simples, mais naturels : le bonheur de l’un augmente la peine de l’autre. Tircis désespéré n’a d’autre ressource que la vengeance ; il attaque Aristée avec cette fureur & cette impétuosité qu’enfantent la jalousie & le dépit de se voir méprisé ; celui-ci se défend ; mais foit que l’excès du bonheur énerve le courage, soit que l’amour satisfait soit enfant de la paix, il est prêt à succomber sous les efforts de Tircis ; ils se servent pour combattre de leurs houlettes ; les fleurs & les guirlandes composées par l’amour & destinées pour la volupté, deviennent les trophées de leur vengeance ; tout est sacrifié dans cet instant de fureur ; le bouquet même dont Thémire a décoré l’heureux Aristée, ne sauroit échapper à la rage de l’amant outragé. Cependant Thémire paroît ; elle apperçoit son amant enchaîné avec la guirlande dont elle l’avoît orné ; elle le voit terrassé aux pieds de Tircis ; quel désordre ! quelle crainte ! elle frémit du danger de perdre ce qu’elle aime ; tout annonce sa frayeur, tout caractérise sa passion. Fait-elle des efforts pour dégager son amant, c’est l’amour en courroux qui les lui fait faire. Furieuse, elle se saisit d’un dard égaré à la chasse ; elle s’élance sur Tircis & l’en frappe de plusieurs coups. A ce tableau touchant l’action devient générale ; des bergers & des bergères accourent de toutes parts. Thémire désespérée d’avoir commis une action si noire, veut s’en punir & se percer le cœur ; les bergères s’opposent à un dessein si cruel ; Aristée partagé entre l’amour & l’amitié, vole vers Thémire, la prie, la presse & la conjure de conserver ses jours ; il court à Tircis & s’empresse à lui donner du secours ; il invite les bergers à en prendre soin. Thémire désarmée, mais accablée de douleur, fait un effort pour s’approcher de Tircis ; elle embrasse ses genoux & lui donne toutes les marques d’un repentir sincère ; celui-ci, toujours tendre, toujours amant passionné, semble chérir le coup qui va le priver de la lumière. Les bergères attendries, arracnent Thémire de ce lieu, tnéâtre de la douleur & de la plainte ; elle tombe évanouie dans leurs bras. Les bergers, de leur côté, entraînent Tircis ; il est près d’expirer, & il peint encore la douleur qu’il ressent d’être séparé de Thémire, & de ne pouvoir mourir dans ses bras. Aristée, ami tendre, mais amant fidèle, exprime son trouble & sa situation de cent manières différentes ; il éprouve mille combats ; il veut suivre Thémire, mais il ne peut pas quitter Tircis ; il veut consoler l’amante ; mais il veut secourir l’ami. Cette agitation est suspendue ; cette indécision cruelle cesse enfin : un instant de réflexion fait triompher l’amitié dans son cœur ; il s’arrache enfin de Thémire pour voler à Tircis.

Ce plan peut paroître mauvais à la lecture, mais il fera le plus grand effet sur la scène ; il n’offre pas un instant que le peintre ne puisse saisir ; les situations & les tableaux multipliés qu’il présente ont un coloris, une action & un intérêt toujours nouveau ; l’entrée seule de Tircis & celle d’Aristée sont pleines de passion ; elles peignent, elles expriment, elles sont de vrais monologues. Les deux pas de trois sont l’image de la scène dialoguée dans deux genres opposés ; & le ballet en action qui termine ce petit roman, intéressera toujours très-vivement touts ceux qui auront un cœur & des yeux ; si toutefois ceux qui l’exécutent ont une ame & une expression de sentiment aussi vive qu’animée.

Il est facile de concevoir que pour peindre une action où les passions sont variées, & où les transitions de ces mêmes passions sont aussi subites que dans le programme que je viens de vous tracer, il faut de toute nécessité que la musique abandonne les mouvements & les modulations pauvres qu’elle emploie dans les airs destinés à la danse. Des sons arrangés machinalement & sans esprit ne peuvent

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