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dans des ouvrages bien plus import’&nts que des ballets.

En s’attachant fcrupuleufement à peindre le caractère , les moeurs & les ufages de certaines nations , les tableaux feroient fouvent d’nne compofition pauvre & monotone ; auffi y auroit-il de l’injustice à condamner un peintre , liir les licences ingénieufes qu’il auroit prifes, fi ces mêmes licences contribuoient à la perfection , à la variété & à l’élégance de fes tableaux.

Lorfque les caracteres font foutenus, que celui lie la nation quVn repréfente titd poiit altéré , & que la nature ne fe perd pas fous des embellissemehts quk lui font étrangers & qui la dégradent ; lorfqu’enfin l’expreilion du fentiment est fidèle, que le coloris est vrai , que le clair-obfcur est ménagé avec art , que les pofutons font nobles , que les grouppes font ingénieux, que les masses font belles & que le dessin eft correct, le tableau dés-lors eft excellent, & produit fon effet.

Je crois qu’une fête turque ou chinoife ne plairoit point à notre nation, fi l’on n’avoit l’art de l’embellir ; & je fuis perfnadé que la manière de danfer Se ces peuples ne feroit point eri droit de féduire : ce costunu exact & cette imitation n’offriroient qu’un fpectacle trés-plat & peu digne d’un public , qui n’applaudit qu’autant que les anifies ont l’art d’affocier la délicatesse & le goût anx différentes productions qu’on lui préfente.

Si ceux qui m’ont critiqué fur la prétendue licence que j’avois prife d’introduire des boftangis & des janissaires au ferrail , avoient été témoins de l’exécution , de la diftribution & de la marche de mon balUt , ils auroient vu que ces perfonnages , qui les ont blessés à cent lieues d’eloignement , n’entroient point dans la partie du ferrail où fe tiennent les femmes ; qu’ils ne paroissoient que dans le Jardin , & que je ne les avois associés à cette fcene, que pour faire cortège & pour rendre l’arrivée du grand’feigntur plus impofanté & plus majestueufe.

Au reste une critique qui ne porte qoe fur un programme , tombe d’elle-même , parce qu’elle n’eft appuyée fur rien. On prononce fur le mérite d’un peintre, d’après fes tableaux & non d’après fon style ; on doit prononcer de même fur celui du maître de ballets, d’après l’efFet des grouppes' , des fituations , des coups de théâtre , des figures ingénieufes , des formes filantes & de l’ensemble qui régnent dans fon ouvrage. Juger de nos productions fans les voir, c’eft croire pouvoir décider d’un objet sans lumières.

Je parlerai encore de deux ballets, & mon objet fera rempli. J’en ai dit affez , pour perfuader de toutes les difficultés d’un art , qui n’est aifé que pour ceux quf n’approfondissent rien, & qui imaginent que l’action de s’élever de terre d’un pouce plus haut que les autres , ou l’idée de quelques moulinets ou de quelques ronds, doivent leur attirer touts les fuffrages. Dans quelque genre que ce foit, plus on approfondit , plus les obstacles fe multiplient , & plus le but auquel on s’efforce d’atteindre , paroit s’éloigner. Auffi le travail le plus opiniâtre n’offre-t-il aux plus grands artistes qu’une lumière fouvent importune, qui les éclaire fur leur infuffifance , tandis que l’ignorant , fatisfait de lui-même , au milieu des ténèbres les plus épaisses , croit qu’il n’est abfolument rien au-delà de ce qu’il fe flatte de favoir.

Le ballet dont Je vais parler , a pour titre : L’Amour corfaire, ou l’embarquement pour Cythère. La fcène fe paffc fur le bord de la mer, dans l’ifle de Mifogyne. Quelques arbres inconnus dans nos climats embeUiifent cette ifle. D’un côté du théâtre on apperçiit un autel an(ique élevé à la divinité que les habitants adorent ; une starue repréfentant un homme qui plonge un poignard dams le fein d’une femme, est élevée au dessus de l’autei. Les habitants de cette ifle font cruels & barbares ; leur coutume eft d’immoler à leur divinité touf&s les femmes jettées , malheureufement pour elles , fur ces côtes. Ils impofent la même lot à touts les hommes qui échappent à la fureur des flots. Le fujet de la première scène est l’admiffion d’un étranger fauvé du naufrage. Cet étranger est conduit à l’autel , fur leqnel font appuyés deux grands-prêtres. Une partie des habitants est rangée autour de ce même autel , tenant dans leurs mains des massues avec lefquelles ils s’exercent, tandis que les autres infulaires célèbrent par une danfe mystérieufe l’arrivée de ce nouveau profélyte. Celui-ci fe voit forcé de promettre folemnellement d’immoler avec le fer dont on va l’armer , la première femme qu’un destin trop cruel conduira dans cette ifle. A peine commence-t-il à proférer l’affreux ferment , dont il frémit lui-même , quoiqu’il fasse le voeu dans fon cœur de défobéir au nouveau dieu , dont il embrasse le culte , que la cérémonie est interrompue par des , cris perçants poussés à l’afpect d’une chaloupe que bat une horrible tempête , & par une danfe vive qui annonce la joie barbare , que fait naître l’efpoir de faifir quelques viélimes. On apperçoit dans cette chaloupe une femme & un homme qui lèvent les mains vers le ciel & qui demandent du secours. Dorval (c’est le nom de l’étranger) croit reconoître, à l’approche de cette chaloupe , fa fonir & fon ami. Il regarde attentivement ; fon cœur est pénétré de plaifir & de crainte ; il les voit enfin hors de danger ; il fe livre à l’excès dune fatisfaction , & la la joie qn’elle infpire est bientôt balancée par le fouvenir du lieu terrible qu’il habite , & ce retour funeste le précipite dans l’abattement & dans la douleur la plus profonde. I’empressement qu’il a d’abord témoigné , a fait prendre te change & en a impofé aux Mysogyniens ; ils ont cru voir en lui du zèle & un attachement inviolable à leur loi. Cependant Clairville & Constance (c’est le nom des deux amants) abordent enfin ; la mort est peinte fur leur vifage , leurs yeux s’ouvrent à peine , des cheveux hériffés annoncent leur efirai. Un teint pâle & mourant peint toute riiorreur du trépas, qui s’est pré-