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Page:Encyclopédie méthodique - Arts Académiques.djvu/436

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L’ART DE NAGER.

De son utilité.

ON a dit & plusieurs gens instruits ont répété, que l’homme nageoit naturellement, comme le poisson ou l’oiseau aquatique, & que la frayeur seule l’empêchoit de mettre à profit une faculté aussi intéressante pour sa conservation. Cette opinion a été rejettée par Borelli, (de motu animal. ch. 33, prop. 218). Il est vrai que l’homme en nageant n’est pas dans une position qui lui soit naturelle. Touts ses mouvements annoncent la gêne qu’il éprouve ; & le soldat le plus intrépide, le nageur le plus consommé dans son art, l’homme en un mot que la peur n’ébranla jamais dans les dangers les plus imminens, n’est pas moins sujet à se noyer que le néophite. Voilà pourquoi, comme l’observe Borelli, l’enfant qui tombe dans un fleuve, & l’insensé qui s’y précipite, y perdent incontestablement la vie. Considérez au contraire le quadrupède ; voyez avec quelle adresse il brave la fureur des flots ; quelle contenance affurée il montre au milieu même de l’élément dont il n’a jamais approché ! Il ne nage pas ; il marche ; ses pieds semblent tracer des pas semblables à ceux qu’il fait sur la terre ; & s’il ne rencontre aucun obstacle qui l’empêche d’aborder le rivage, vous le verrez traverser impunément les fleuves les plus larges & les plus rapides. Cependant chez les Nègres & plusieurs autres nations, les enfants vont à la mer ou à la rivière voisine dès qu’ils peuvent se traîner, entrent dans l’eau sans crainte, s’effreyent peu-à-peu, & savent nager aussitôt que marcher ; mais il se peut qu’on leur donne d’abord un peu d’aide & de secours.

Toutes les nations de la terre, considérant la profession de nageur, moins comme une faculté naturelle à l’homme, que comme un art véritable, ont eu soin d’y former leurs enfans dès le bias-âge. Toutes, persuadées de l’importance d’une science qui nous paroît aujourd’hui si frivole, ont eu le louable usage d’inspirer à la jeunesse dû goût pour le bain. Les Egyptiens, dont le pays, coupé de toutes parts par une foule de canaux, offroit partout des dangers à celui qui ne s’étoit pas familiarisé avec les eaux, falfoient de l’art de nager une partie essentielle de l’éducation politique. Les Grecs établirent chez eux la même institution ; & le goût que ce peuple avoit pour le commerce de mer, le métier de pirate qu’il exerça longtemps, cette multitude d’îles, dont la région qu’il habitoît étoit parsemée, tout l’invitoit à ne pas négliger une ressource dont il pouvoit tirer un grand avantage en bien des circonstances. Hérodote rapporte que Scyllias de Macédoine rendit son nom célèbre sous


le règne d’Artaxercès Memnon, en faisant sous les eaux de la mer huit stades, pour porter aux Grecs la nouvelle du naufrage de leurs vaisseaux. Les habitans de l’Archipel, marchant à cet égard sur les traces de leurs ancêtres, sont encore pour la plupart de fort bons nageurs ; & Tournefort nous apprend que dans l’isle de Samos, on ne marie guères les garçons qu’ils ne soient en état de plonger sous l’eau, au moins à huit brasses de profondeur.

On sait quelles furent à ce sujet les maximes des Romains. L’art de nager faisoit à Rome une partie si importante de l’instruction de la jeunesse, de touts les ordres & de toutes les conditions, que l’on y considéroit comme un ignorant quiconque ne l’avoit pas appris. Pour caractériser un personnage grossier, un homme sans éducation, un ancien proverbe disoit qu’il ne savoit ni lire ni nager. On exerçoit les soldats dans cet art avec autant de soin que nous en mettons à leur apprendre les évolutions qui nforment le principal objet de notre tactique moderne ; & les plus grands généraux qu’ait eu la république, César, Pompée, Marc-Antoine, savoient parfaitement nager. Aussi, en poursuivant l’ennemi, rien n’arrêtoit ces guerriers. Couverts de sueur, épuisés par la fatigue, criblés de blessures, on les voyait se jeter à la nage, ou traverser les rivières ou les lacs avec une célérité incroyable. De là, tant de passages de fleuve exécutés par des armées entières, & qui nous étonnent aujourd’hui ; de là, cette vigueur mâle, ce tempérament robuste, cette santé parfaite dont jouissoit le plus grand nombre des soldats Romains ; de là la rareté des maladies épidémiques dont les fréquents ravages affligent les nations modernes énervées par le plaisir, la mollesse & l’intempérance ; de là enfin, cette population nombreuse qui couvre l’Europe, malgré le fléau destructeur des combats.

Il est vraisemblable que les Gaulois, nos ancêtres, furent originairement de bons nageurs. La position de leur pays presque environné de la mer, & coupé par plusieurs rivières, la passion qu’ils avoient pour la pêche, la malpropreté de leurs habits, & sur-tout l’exemple des autres peuples, leurs voisins, tout cela les invitoit à se familiariser avec un élément dont ils tiroient une partie de leur subsistance. Il paroît d’ailleurs par le récit de Jules-César, que les soldats de cette nation pouvoient traverser au besoin les rivieres qui s’opposoient à leur passage, & qu’ils étoient assez versés dans l’art de nager, pour sauver avec eux les plus précieux de leurs effets, sans craindre de périr.

Equitation, Escrime & Danse. H h h