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426 L’art de Nager

Les François, conquérans des Gaules, se faisoient honneur de savoir nager. L’épithète de nageur est celle dont se sert Sidonius Apollinaris, pour distinguer ce peuple des nations barbares qui subsistoient alors :

• • • • • • Vincitur illic
Cursu Herulus, chunus jaculis, francusque natatu,
auromata clypso, Salius pede, falce Gelonus.

L’une des principales épreuves auxquelles on assujettissoit les braves à qui l’on conféroit la qualité de chevalier, consistoit dans une espèce d’immersion, où le récipiendaire donnoit des témoignages de sa dextérité dans l’art de nager ; & les traces de cet ancien usage subsistoîent encore du temps de Louis XI. La mollesse, à laquelle une excessive urbanité donna naissance, détruisit bientôt ces institutions salutaires. Les seigneurs quittant les campagnes, où ils eussent pu faire régner l’abondance & la félicité, se concentrèrent dans les villes, où ils prirent de nouvelles mœurs & de nouveaux goûts. La plupart des citoyens des autres ordres abjurèrent aussi les vieux usages ; & les récréations champêtres, les délassements innocents, tels que l’art de nager, furent livrés aux matelots & au reste du bas peuple. Depuis cette révolution, nos citoyens amollis dédaignèrent les plaisirs que la populace pouvoit partager avec eux. Les dangers auxquels il étoit possible qu’ils fussent exposés dans plusieurs circonstances de la vie, l’heureuse expérience qu’ils avoient faite de la néceissité du bain, pour fortifier leurs membres & se conserver en santé, ces émotions délicieuses qu’un homme fatigué éprouve lorsqu’il se plonge dans une eau courante, rien ne put les déterminer à reprendre sur ce point l’ancienne simplicité ; & si l’on a vu par intervalles des âmes assez éclairées pour braver à cet égard le préjugé national, ce font des exceptions à la règle, & qui ne doivent pas tirer à conséquence.

Les bons nageurs sont aujourd’hui relégués dans les climats où notre luxe & notre délicatesse n’ont pas encore pénétré. L’Asie, l’Afrique & l’Amérique offrent une foule de personnages de touts les sexes, de touts les âges & de toutes les conditions, qui estiment cette récréation salutaire. Touts les Nègres sur-tout apprennent à nager dès la plus tendre jeunesse. Aussi est-on souvent étonné des trajets immenses qu’ils font, soit pour aller à la pêche, soit pour regagner leur patrie. Des observateurs dignes de foi attestent les avoir vus nager avec une vigueur surprenante pendant l’espace de quarante lieues.

Cette adresse des peuples que notre délicatesse européenne qualifie de barbares, nous procure des richesses dont la plupart forment aujourd’hui parmi nous des besoins de première nécessité. C’est par elle que nous jouissons des éponges, des coraux, des perles, & d’une foule d’autres objets dont notre luxe fait tant de cas. Souvent c’est à l’aide de ces préten


dus barbares que nous radoubons nos vaisseaux fracassés par les tempêtes ; que nous portons l’alarme & la mort chez un ennemi, dont, sans eux, nous redouterions la puissance, & que nous sauvons les tristes débris d’un naufrage. L’histoire du généreux Bouffard, dont cette capitale a retenti pendant six mois, & les éloges dont on ne cesse de combler ceux des nageurs qui ont rendu quelques services à l’humanité, prouvent assez que l’on sent quelquefois toute importance de cet exercice.

Le détail des moyens qu’emploient les Asiatiques pour nous procurer des perles, mérite de tenir place ici. Cette pêche intéressante commence ordinairement au mois d’avril, & dure six mois entiers. Lorsque la saison est arrivée, le rivage se couvre de petites barques, dont chacune est montée par trois hommes. Deux sont employés à la conduire, & le troisième est le plongeur qui doit courir touts les risques de la pêche. Lorsque ces pêcheurs sont arrivés sur un fond de dix à douze brasses, ils jettent leurs ancres. Alors le plongeur, les oreilles & le nez garnis de coton, se pend au cou un petit panier qui doit recevoir les nacres. On lui passe sous les bras, & on lui attache au milieu du corps une corde de longueur égale à la profondeur de l’eau. Il s’assîed sur une pierre qui pèse environ cinquante livres, attachée à une autre corde de même longueur, qu’il serre avec les deux mains, pour se soutenir & ne pas la quitter, lorsqu’elle tombe avec la violence que lui donne son poids. Il a le soin d’arrêter le cours de sa respiration par le nez, avec une espèce de lunette qui le lui serre. Dans cet état, les deux autres hommes le laissent tomber dans la mer avec la pierre sur laquelle il est assis, & qui le porte rapidement au fond. Ils retirent aussitôt la pierre, & le plongeur demeure au fond de l’eau, pour y ramasser toutes les nacres qui se trouvent sous la main. Il les met dans le panier à mesure qu’elles se présentent, sans avoir le temps de faire un choix, qui seroit d’ailleurs d’autant plus difficile, que ces nacres n’offrent aucune marque à laquelle on puisse distinguer celles qui contiennent des perles. La respiration manque bientôt au plongeur. Alors il tire une corde qui sert de signal à ses compagnons, & revenant en haut, il y respire quelques momens. On lui fait recommencer le même exercice, & toute la journée se passe ainsi à monter & à descendre. Le hasard, comme on l’a dit, fait trouver des perles dans les nacres. Cependant on est toujours sûr de tirer, pour fruit de son travail, une huître d’excellent goût, & un grand nombre de beaux coquillages. Il faut observer qu’à quelque profondeur que les plongeurs soient dans l’eau, la lumière est si grande, qu’ils voient très-distinctement tout ce qui se passe dans la mer, avec la même clarté que sur la terre. Ils apperçoivent de temps en temps des poissons monstrueux, dont ils deviennent quelquefois la proie, quelque précaution qu’ils prennent de troubler l’eau pour n’en être pas apperçus. De touts