chant. On a pratiqué le long des deux bras destinés à entrer dans le pot plusieurs coches entamées sur leurs quatre arêtes : car ils ont une forme carrée.
On enfonce ces deux bras un peu écartés dans le pot au milieu des châtaignes, & avec les deux autres bras on les tourne en les ouvrant & les fermant alternativement ; par ces mouvemens réitérés, les châtaignes comprimées glissent & s’échappent entre les parois du pot & les deux bras du déboiradour, & elles se dépouillent assez promptement du tan qui les couvroit, & qui obéit au moindre frottement, au moyen de l’état de ramolissement qu’il a éprouvé dans l’eau chaude. On suit des yeux le progrès du dépouillement de la pellicule, & l’on voit les débris du tan s’élever à la surface de l’eau, s’accumuler le long des parois intérieures du pot & tout autour des bords. Enfin les châtaignes paroissent entièrement blanchies. C’est le terme dont on se sert pour exprimer le résultat du dépouillement de la pellicule.
On retire du pot avec l’écumoire les châtaignes ainsi blanchies, & on en met une certaine quantité sur le grelou ou greloir. C’est une espèce de crible à large voie, dont le tissu est formé par deux rangées de lattes fort minces de bois de châtaignier ; elles sont entrelacées les unes dans les autres à angles droits, & placées entre elles à une distance de quatre à cinq lignes, qui est la largeur des trous qu’on y a ménagés. Chaque fois qu’on met des châtaignes sur le grelou, on les agite en leur donnant un mouvement circulaire pour achever d’en détacher quelques débris du tan, qui les abandonnent en s’attachant aux inégalités du grelou, & en passant à travers les trous : on verse les châtaignes bien nettoyées dans un plat plein d’eau fraîche ; on secoue le grelou pour emporter le tan engagé dans les vides : on y remet d’autres châtaignes, & l’on réitère sur chaque tas les mêmes opérations, jusqu’à ce que la totalité des châtaignes contenues dans le pot, ait été bien nettoyée sur le grelou ; fort souvent même on enlève de grands tas de châtaignes qu’on verse sur le plat immédiatement, parce qu’elles n’ont pas besoin de l’opération du grelou.
Art. II. Manière de donner à la châtaigne le degré de cuisson convenable.
Après toutes ces manipulations, qu’on exécute très-promptement, les châtaignes sont entièrement blanchies, mais elles ne sont pas cuites ; on a même eu la plus grande attention de ménager la chaleur de l’eau, de manière que le tan seulement fût ramolli ; car, l’action du déboiradour & celle du grelou sur les châtaignes qui auroient éprouvé un commencement de cuisson, les réduiroit aisément en petits grumeaux qui resteroient au fond du pot ou s’échapperoient par les trous du grelou ; ce qui produiroit un déchet fort considérable sur la portion de châtaignes qu’on destine aux ouvriers ou aux domestiques.
Il faut donc mantenant se préparer à la cuisson des châtaignes blanchies. On commence par jetter l’eau qui est dans le pot, & qui dans le peu de temps que les châtaignes y ont séjourné avec leur tan, s’est chargée d’une partie extractive dont l’amertume est insupportable ; ensuite on verse de l’eau froide sur les châtaignes blanchies, & on les lave avec soin, tant pour emporter les restes du tan, que pour délayer les résidus de l’eau amère qu’elles auroient pu conserver dans leurs sinus ; enfin, on les remet dans le pot de fer qu’on a bien nettoyé, & où l’on a versé une certaine quantité d’eau dans laquelle l’on a fait dissoudre un peu de sel marin. Quelques personnes emploient l’eau chaude ; d’autres se contentent de l’eau froide : on varie aussi beaucoup pour la quantité d’eau ; mais je pense qu’il convient, pour cette seconde opération, que l’eau où l’on verse les châtaignes soit bien chaude, & qu’on en ménage autant qu’il est possible la quantité. Nous expliquerons par la suite les raisons de cette conduite.
Lorsque le pot a été rempli de châtaignes avec toutes ces attentions, on le place sur le feu, & on ne laisse prendre à l’eau que trois ou quatre bouillons ; cela suffit pour donner aux châtaignes le degré de cuisson convenable ; on s’en assure en retirant quelques châtaignes du pot ; on achève ainsi d’extraire des châtaignes la partie amère dont elles sont chargées ; il n’en reste plus dès qu’elles ont acquis sensiblement à peu près le degré de cuisson convenable ; c’est pour cette raison qu’on verse aussitôt par inclinaison l’eau dans laquelle on a fait bouillir les châtaignes, & qui, en se chargeant de la partie extractive, a pris une couleur très-foncée & un goût d’amertume considérable ; malgré cela, comme cette eau est salée, j’ai vu certaines personnes la mettre à part, & la conserver pour servir avec une petite addition de sel à l’opération du lendemain. Il est aisé de voir que jamais économie ne fut plus mal entendue.
On achève la cuisson des châtaignes en plaçant sur un feu doux le pot où il n’est resté que des châtaignes sans eau ; on la complète en garnissant le couvercle du pot tout autour avec de vieux linges qui servent à concentrer la chaleur : on a soin de retourner le pot pour qu’il présente ses différens côtés à l’action du feu, que la chaleur se distribue également dans toute la masse des châtaignes, & qu’elles soient bien cuites & bien renflées. Si par hasard le pot n’étoit pas exactement couvert & qu’il transpirât de la chaleur au dehors, on auroit beaucoup de châtaignes molles & ridées.
Par toutes ces attentions, on parvient à faire perdre entièrement aux châtaignes l’eau extractive & l’eau surabondante qui les pénètre pendant la cuisson, & à mesure qu’elles s’essuient, elles acquièrent une saveur & un goût agréable que n’ont jamais celles qu’on a fait cuire à l’eau avec toutes leurs peaux, ou dans une poêle sur un feu ardent, ou enfin sous la cendre.