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Cette comparaison, au reste, ne doit pas être prise à la rigueur, & il en est ainsi de presque toutes celles qu’on emprunte d’un Art, pour les appliquer à un autre ; car s’il y a des approximations & des ressemblances sensibles à plusieurs égards entr’eux, & plus encore entre certaines de leurs parties, ils ont aussi des différences qui s’opposent à la justesse des comparaisons, & l’abus qu’on fait aujourd’hui, plus fréquemment que jamais, de ces rapprochemens, grace à l’ignorance de ceux qui les emploient, ou à la prétention trop générale de parler de tout & de tout connoître, contribue à jetter de l’obscurité, de la confusion dans les idées, dans les jugemens & à répandre le mauvais goût dans l’élocution.

Les sens, ainsi que les Beaux-Arts, ont sans doute entre eux, comme je l’ai dit, des rapports apparens & généraux. L’imagination s’efforce de les rendre plus réels pour multiplier les jouissances dont elle est toujours avide ; mais la Nature a posé des limites. On pourroit bien se permettre de dire que l’oeil écoute, que l’oreille voit, parce qu’effectivement ce qu’on entend peint, en quelque sorte, les objets à l’imagination, & qu’en voyant avec sagacité, on entend, pour ainsi dire, les discours qui cependant ne frappent pas notre oreille ; mais les propriétés de la vue ne peuvent. passer tellement au sens de l’ouïe, que l’une se substitue entièrement à l’autre. Il ne faudroit pas oublier que c’est toujours figurément que l’on conçoit ces substitutions, & c’est cependant ce que l’on perd de vue, par le trop grand usage des termes figurés & l’abus que l’esprit sans justesse en fait souvent.

Si l’on vouloit rendre une langue parfaitement conforme à la raison & à la nature des choses, la réforme seroit d’autant plus difficile que cette langue auroit été plus maniée par les Orateurs & les Poëtes. Il est rare, il est impossib1e même qu’ils ayent la connoissance, non-seulement approfondie, mais exacte de tout ce dont ils parlent, il leur semble nécessaire de parler de tout, & il est très-commun qu’ils usent de ce droit comme les Poëtes, dont Horace désigne la hardiesse.

Je reviens, pour la dernière fois, au mot adoucir, comme terme de Peinture, & pour ne pas m’écarter davantage, je m’adresse à ceux qui exercent cet Art.

Vous avez, d’après ce que j’ai dit, deux manières d’adoucir vos tons & vos nuances : l’une est de diminuer leur éclat ; l’autre de les accorder dans leur vigueur avec beaucoup d’art.

Le premier moyen peut vous conduire à altérer la force & la vérité de la couleur de chaque objet ; alors vous affoiblirez plutôt que vous n’adoucirez votre coloris.

Si vous choisissez l’autre moyen, en vous attachant à accorder ensemble les couleurs & les tons


dans leur plus grande valeur, vous approcherez du systême de la Nature & de la perfection de l’Art, relativement à la couleur.

Je me borne à ces explications, parce que les mots Accord, Clair-obscur, Harmonie, & quelques autres, donneront occasion de développer les différentes idées qui ont rapport au mot dont traite cet article.

Je ne parle pas d’adoucir l’expression. Dans la Peinture, toute expression exagérée ou affoiblie, est blàmable.

AFFOIBLIR, (verb. act.) Une partie des termes qui forment le langage d’un Art, se rapportent ou aux perfections ou aux défauts dont il est susceptible.

Ce que j’ai dit dans l’article adoucir est relatif à une beauté de l’Art de la Peinture, qui est l’harmonie & au plaisir du sens de la vue, qui en est l’effet. Ce que je vais dire, à l’occasion du mot affoiblir, se rapportera à une imperfection.

En effet, c’est ordinairement lorsqu’un Artiste cherche l’accord ou l’harmonie aux dépens de la vigueur, qu’il affoiblit le coloris, comme en cherchant l’agrément aux dépens de la sévérité du trait ; il affoiblit quelquefois la correction des contours, & en sacrifiant l’expression au desir de trouver la grace, il affoiblit le caractère.

L’affoiblissement des couleurs qui aide assez ordinairement les Coloristes médiocres, à obtenir une harmonie que j’appellerai moyenne ou foible, n’est que trop commun dans quelques Écoles, dont cette foiblesse de coloris paroit être le défaut distinctif, & en quelque façon, national.

L’on ne peut en donner de raison absolument satisfaisante. Peut-être ce penchant à une harmonie foible & souvent grise, est-il la suite de quelque qualité physique des organes ou du climat. Elle peut avoir pour origine certains effets d’une lumière souvent voilée, qui s’offrent plus habituellement aux regards, ou certaines modifications dans les organes de la vue, qui peuvent être plus générales dans un pays que dans un autre. Au reste, si la cause est encore incertaine, l’effet n’en est pas moins constaté, & l’École Françoise y paroît soumise.

Le Ciel des bords de la Seine, où cette École est résidente, se montre souvent peu serein, à cause des humidités & des brouillards fréquens. Les hommes & les femmes y sont plutôt pâles que sanguins & colorés. Les fabriques ont une couleur peu variée, généralement grise ou blanchâtre, à cause du grand usage qu’on fait du plâtre, l’on s’apperçoit, d’un autre côté, que le plus grand nombre des Peintres François, qui habitent la Capitale, ont un coloris dans lequel les teintes grises ou farineuses dominent sensible-


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