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Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/156

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AIR AIR 15


» appuyer le crayon & à décider la touche, ce
» sont les privations de lumière qu’éprouvent
» dans leurs courbures, certaines sinuosités du
» trait qui les dérobent plus ou moins à la direc-
» tion des rayons du jour.


» Dans le corps humain, soumis à vos obser-
» vations & à votre étude, les articulations, les
» emboîtemens des membres, le gonflemens des
» muscles dans différentes directions & différens
» mouvemens occasionnent les privations de lu-
» mière qui décident fortement le trait ; on ex-
» prime ces accidens par des touches, & comme
» les mouvemens des articulations & des muscles
» sont beaucoup plus apparens dans les corps
» vigoureux, ou dans les actions violentes, les
» touches fortes & énergiques plus autorisées,
» font partie de l’expression : mais il faut qu’elles
» soient placées & appuyées avec justesse.


» Voila ce qui demande, de la part du Dessi-
» nateur & du Peintre, la plus grande étude &
» la plus sévère attention ; sans cela, non-seu-
» lement la touche ne produit pas l’effet qui doit
» en résulter, mais elle n’est le plus souvent
» qu’une sorte d’affectation arbitraire & de ma-
» nière, qui n’ont presque point de rapport à la
» nature. «

La touche, bien sentie, est donc un des moyens de donner l’idée du mouvement d’une figure, & d’y faire apercevoir & deviner le jeu des passions. Par une suite de cette explication, la touche arbitraire, qu’on regarde si souvent mal-à-propos comme un signe distinctif de goût, n’est qu’une manière & un moyen qui n’exprime rien.

Venons à cette transparence de l’air, qui permet de voir les objets, en les couvrant cependant d’un léger voile & en modifiant seulement leurs apparences.

L’interposition plus ou moins considérable de l’air prive les couleurs d’une partie de leur éclat, dont la vivacité blesseroit souvent l’organe de la vue, s’il n étoit adouci.

C’est cet effet de l’air, (l’un des plus difficiles à rendre avec justesse,) qui décide cependant de la plus ou moins grande vérité de l’apparence des objets, relativement au plan qu’ils occupent.

L’Artiste, qui a l’ambition d’être appellé Coloriste, sacrifie souvent l’effet nécessaire de l’interposition de l’air, qui lui impose la loi de rompre ses couleurs, & il préfère alors un faux éclat à la vérité.

Un autre, plus touché de la douceur que les couleurs peuvent emprunter de l’interposition de l’air, s’occupe tellement à rompre ses tons, à en voiler l’éclat, qu’il tombe dans un coloris foible, dans lequel les couleurs locales ne sont pas désignées précisément. Il manque également, par cette route opposée à la précédente, le but de la Peinture.

L’un, donne à sa couleur le tranchant qu’on


trouve assez souvent dans les Peintures en émail qui sont imparfaites ; l’autre, l’espèce de confusion de tons indécis qu’offrent des tableaux en Pastel qui ont été légèrement frottés.

Ces dernières observations regardent particulièrement les objets qui se trouvent sur les premiers plans d’un tableau & qui y sont éclairés des principales lumières ; mais les derniers plans & les fonds exigent que le Peintre s’occupe, en les colorant, de désigner l’interposition de l’air, plus sensible dans l’eloignement. Il me reste à parler de cette nuance légèrement azurée, qui provient aussi de l’interposition de l’élément invisible.

Cette nuance, tantôt plus forte, tantôt moins colorée, s’observe dans les lointains, & y domine, dans plusieurs momens sur la couleur des montagnes ; effet, qui est quelquefois extrêmement sensible dans la nature, & que quelques Paysagistes ont exagéré.

On ne peut entrer dans les détails d’effets que produisent les vapeurs habituelles, ou ces légers brouillards qui modifient l’air & qui lui donnent une couleur plus ou moins sensible.

Ce que les Artistes doivent, à cet égard, observer sur la nature, ce sont les effets qui se présentent le plus souvent les mêmes dans certaines heures du jour, dans certaines saisons, & qui, relativement aux aspects du soleil, rendent les couleurs des lointains plus ou moins azurées.

Mais l’Artiste doit cependant éviter de représenter avec trop de fidélité les accidens, lorsque dans la nature ils semblent exagérés ; parce que, dans les représentations de la Peinture, les accidens extraordinaires & rares paroissent des mensonges, & que la vraisemblance la plus parfaite est proprement la vérité de la Peinture, ainsi que de tous les Arts d’imitation.

Quelques Maîtres célèbres, tels que Paul Brill, les Breugles, & d’autres encore, ont eu le défaut dont je cherche ici à préserver les Artistes. Au reste, cette observation, sur le vrai invraisemblable, pourroit s’étendre sur presque toutes les parties de la Peinture.

Les effets, trop prononcés, se peuvent comparer aux objets sur lesquels on insiste trop fortement, en parlant ou en écrivant. L’auditeur, ainsi que celui qui lit, ou qui regarde un tableau, se livre d’autant moins à l’illusion, qu’on semble le vouloir contraindre davantage à s’y prêter.

Au reste, il faut observer que quelquefois les nuances trop azurées des fonds de tableaux peints depuis long-temps, se trouvent blesser les yeux & l’accord, parce que les couleurs qu’on a employées ont acquis un ton plus fort, ou que l’outremer, dont se sont servis plusieurs Peintres, a conservé toute sa valeur, tandis que d’autres couleurs ont perdu celle qu’elles avoient. Je parlerai plus particulièrement de ces accidens, qui, funestes aux meilleurs ouvrages, occasionnent