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Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/178

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ART ART 37


étoit en défaut ; vous m’en donneriez des idées justes ? Et ces questions causoient quelqu’embarras à plusieurs de ceux à qui je les faisois.

Daignez, disois-je à d’autres que je voyois sacrifier le nécessaire, la bienfaisance, plus douce encore, ce qu’ils avoient, oserois-je le dire ? ce qu’ils n’avoient pas, pour posséder un tableau capital de quelques-uns de ces Maîtres qui prenoient & cédoient tour-à-tour la première place dans les collections, daignez me faire bien connoître, me faire sentir aussi vivement que vous les sentez des beautés dont assurément je ne nie point l’existence, mais que je n’apprécie pas sans doute d’après les mêmes idées. Si l’on dédaignoit quelquefois de me répondre, bientôt une inconstance pittoresque m’apprenoit, non les perfections, mais les défauts de l’objet qu’on avoit chéri : il n’étoit pas aussi précieux, aussi pur qu’on l’avoit pensé, & j’avoue qu’on a droit de se plaindre de ce dernier défaut dans les objets de ses affections.

Mais s’il m’arrivoit de m’étonner de ce que ce défaut essentiel avoit échappé à des connoissances que je me gardois bien de révoquer en doute, un premier engouement avoit, répondoit-on, causé cette erreur ; mais les soins de celui qui étoit près de procurer un autre ouvrage plus capital encore, avoient dessillé les yeux, en promettant une jouissance qui devoit en imposer aux connoisseurs les plus fins & aux trafiquans de Peinture les plus habiles. « Je ne pense pas, disoit-on, si j’ai le bonheur de posséder ce dont on me flatte, qu’aucun Amateur puisse se vanter de l’emporter sur moi. » — Et je disois tout bas : Le principe élémentaire de vos plaisirs ne tiendroit-il donc qu’à une sorte de vanité & de personnalité exclusive ? Mais je n’osois encore juger si sévèrement ; car il m’avoit semblé reconnoître dans les émotions que causoient certains ouvrages, une ressemblance trop grande avec celle que produisoient également les récits d’une action généreuse, d’un événement intéressant, d’un fait digne d’être célébré. Sans doute, disois-je, les représentations qui excitent ces enthousiasmes représentent avec toute l’expression possible des actions, des faits qui parlent avec le plus grand intérêt à l’esprit & au cœur ; sans doute ces sujets pourroient être traduits dans les langages de tous les Arts. Ils conviendroient à la Sculpture ; ils donneroient lieu à un noble Poème, à un récit attachant, à des représentations dramatiques . . . . . On hésitoit à répondre, & j’étois réduit à penser que l’ordre des idées & la connoissance des différens genres de beauté de la Nature, n’étoit peut-être guère moins intervertie que l’ordre des talens & des différens genres des ouvrages : j’étois entraîné même à penser que ces interversions d’idées pourroient bien influer sur les sentimens & par conséquent sur les mœurs.

Mais pour ne pas m’arrêter à des inductions


qui sembleroient trop défavorables à mon siècle, passons à une autre partie de cette même classe nombreuse qui, ne se croyant pas chargée de diriger les Arts & ne les exerçant pas, se réserve le droit d’en jouir. Je m’adresserai à ceux qui voués par état à des occupations suivies, à des fonctions exigeantes & étrangères aux talens dont je parle, ne sont pas cependant dénués du penchant naturel qui porte tous les hommes à la jouissance des Arts.

La plupart avec une modestie ingénue fort différente de la confiance que donnent trop souvent des lumières incomplettes, me diront que jamais ils n’ont eu le temps d’entrer dans les mystères de la Peinture ; mais qu’ils regrettent de ne pouvoir prendre leur part de ces plaisirs si vifs dont ils entendent parler à ceux qui s’y livrent. « Nous regardons avec avidité, ajouteroient-ils, les ouvrages les plus vantés, les ouvrages qui s’acquièrent à plus haut prix, & nous n’éprouvons ni par les yeux, ni dans l’esprit, ni dans le cœur ces impressions délicieuses, sentimentales ou scientifiques que nous voudrions partager avec ceux qui sans doute les ressentent au degré qu’ils les montrent. » Au lieu de vous plaindre, répondrois-je à ces hommes modestes, rendez-vous plus de justice. « En effet, vous vous croyez bien plus ignorans que vous ne l’êtes car si vous avez une vue saine, un esprit droit, un sentiment sans artifice, sur-tout un sentiment qui ne soit pas épuisé par de faux enthousiasmes, vous entendrez le langage de la Peinture, non pas, à la vérité, comme un Artiste, un Marchand & un Curieux ; mais comme il appartient à ceux qui sont doués des qualités les plus essentielles pour sentir, & même pour juger & apprécier. Souhaitez-vous de savoir comment il faut y procéder ? Interrogez les ouvrages des Arts. Demandez à un tableau ce qu’il veut de vous, ce qu’il a à vous dire. Fontenelle faisoit cette question à une Sonate ; mais vrai-semblablement il lui arriva de ressembler en ce moment à ceux qui interrogent & n’écoutent pas la réponse qu’on leur fait. Pour vous, soyez-y attentifs. Que votre esprit, que votre ame, que vos sens ne perdent rien, s’il se peut, de ce que dira l’ouvrage que vous interrogez. Vous serez à son égard ce qu’est un homme intelligent, sans être fort instruit, qui, à l’aide du sens de l’esprit ou de l’ame reconnoît, sans se tromper, si ceux qu’il écoute bien s’expliquent clairement, raisonnent juste, & touchent ou plaisent par leur manière de s’exprimer. »

« La Peinture, qui est un langage, ne doit pas se borner à parler uniquement aux Artistes ou à ceux qui savent bien ou mal le Vocabulaire tèchnique de cet Art. Il doit parler à tout le monde, s’expliquer clairement, raisonner juste, plaire ou attacher. »