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Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/180

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ART ART 39


qui, indépendamment de ceux dont je viens de parler, se trouvent compris dans la classe qui ne protège ni n’exerce les Arts.

Cet ordre, que le nombre & l’utilité rendent respectable, est ce qu’on nomme le Peuple, nom que les différens points de vue sous lesquels on l’envisage élèvent aux regards de la raison, & abaissent aux yeux de l’orgueil. Le Peuple, selon les climats qu’il habite,, les institutions auxquelles il est soumis, & sur-tout selon le bonheur dont il jouit ou les maux qui l’accablent, partage plus ou moins à son tour les plaisirs & les bienfaits des Arts, dont les ouvrages s’offrent occasionnellement à lui.

En Grèce, le Peuple sentoit jusqu’aux finesses de l’Eloquence, jusqu’aux nuances de l’élocution : il étoit sans doute alors moins accablé sous le poids des peines & moins enchaîné aux travaux forcés & aux besoins. Dans l’Italie encore, le Peuple sensible & frugal, loin d’être sourd au langage du Statuaire, du Peintre, du Musicien, du Poëte, sacrifie des portions du temps nécessaire à ses travaux & du fruit qu’il en retire, pour entendre, pour juger les Arts & les Artistes. Il respecte les chefs-d’œuvre exposés en public ; il en explique les beautés à l’étranger qui s’arrête pour les considérer ; il écoute & chante les vers du Tasse, de l’Arioste, & marque, par une sorte d’inspiration spirituelle, son sentiment sur les accords & les accens dont les Temples & les Théâtres résonnent sans cesse, & où il est admis librement & à peu de frais.

La Nature, moins favorable aux climats rigoureux, ne semble pas accorder aussi libéralement à ceux qui les habitent le don de voir & d’entendre, relativement aux talens, ils participent foiblement à la civilisation qu’opèrent les Arts libéraux, & cette privation forme une nuance remarquable dans le caractère national.

Il seroit difficile, comme on peut le sentir, d’offrir à ceux dont je parle quelques préceptes sur des jouissances dont ils sont presque totalement privés. Le bonheur seroit le premier élément sur lequel il faudroit s’établir, & cet élément ne dépend ni d’eux, ni de nous ; ce qui seul est en notre puissance, c’est de desirer, pour tous les ordres de nos sociétés, qu’il n’y en ait aucun d’assez asservi par les besoins & les travaux de tous les jours & de tous les momens, pour ne pouvoir participer aux satisfactions qui dérivent des sentimens naturels & aux jouissances que procurent tous les Arts, lorsqu’ils en parlent le langage.

Souhaitons que dans des momens de loisirs nécessaires le Peuple même puisse se livrer à des plaisirs innocens qui adoucissent les travaux & charment les peines inévitables de la vie. Désirons que, par les soins protecteurs & bienfaisans des Princes pacifiques, les institutions & les convenances, soutiens des Arts nommés autrefois di-


vins, les élèvent à la perfection, qui les a rendus dignes de ce nom ; souhaitons enfin que les Artistes regardent la gloire de parvenir à cette perfection, comme un tribut qu’ils doivent à la patrie, & que ceux qui sont réservés au bonheur de jouir à leur gré des productions artielles, rendent leurs jouissances plus parfaites & plus assurées, en contribuant, par tous les moyens qui leur sont propres, au maintien des principes, des convenances & du bon goût.

ARTICULATION, (subst. fém.) Voyez ci-apres le mot ATTACHES.

ARTISTE, (subst. masc.) Ce terme désigne un homme qui exerce un Art libéral ; Artisan, désigne celui qui pratique un Art méchanique. Il faut observer que ces explications sont fondées sur l’usage le plus général dans le temps où j’écris ; car les mots Artiste & Artisan ont dû s’employer indifféremment lorsqu’on ne distinguoit pas avec autant de précision qu’on le fait la différente nature des Arts. On nomme donc aujourd’hui un Forgeron, un Charpentier, un Maçon, Artisans, & le Peintre le Sculpteur, le Graveur, Artistes. Cependant on ne nomme pas ainsi le Poëte ni le Musicien. Cette distinction vient sans doute de ce que les Artistes que j’ai désignés emploient dans la pratique de leurs Arts, & mettent en œuvre pour leurs ouvrages des matières & des procédés qui semblent quelquefois les rapprocher des Artisans, tandis que le Poëte & le Musicien ne font usage que de signes convenus qui n’ont aucun rapport à ce qu’on appelle travail de la main.

Comme mon but est non-seulement de rapprocher les Beaux-Arts les uns des autres, mais de les considérer le plus qu’il est possible par ce qu’ils ont de noble & d’élevé, je m’étendrai principalement, en parlant ici du Peintre, sur les qualités libérales qu’on doit désirer dans un homme voué aux Arts, & qui les exerce avec le respect qu’on leur doit, dans un homme dont les devoirs sont de transmettre ses lumières par des instructions & des exemples, dans un Artiste enfin, qui contracte l’obligation d’augmenter la gloire de sa patrie, en illustrant son nom par des talens & des vertus.

La vue prompte & juste, la main adroite & fléxible sont incontestablement des qualités nécessaires à l’Artiste. J’oserai y ajouter, non comme essentielle, mais comme favorable, une conformation heureuse & même distinguée ; les proportions & les formes qui nous appartiennent, s’offrant continuellement à nous, il est impossible que nous n’en ayons pas une conscience habituelle, & que l’Artiste ne mêle pas machinalement les siennes à celles qu’il dessine & qu’il peint.

Sa complexion doit être assez forte pour soutenir une vie contemplative & sédentairement laborieuse.