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CON CON 129


Il est encore bon d’observer de quelle manière les corps, au moment que le soleil se plonge sous l’horizon, deviennent lumineux, & se coorent principalement sur leurs bords, d’un jaune fort différent de celui de l’aurore. Celui-ci étoit plus pâle & plus argentin ; cet autre tire davantage sur la couleur d’or. Les ombres, au lever du soleil, avoient de la fraicheur ; c’est le contraire le soir : elles ont alors un caractère de sécheresse, reste de la chaleur du jour, qui a retiré toutes les vapeurs de dessus la terre. Il n’en subsiste plus à la fin de la journée, ce qui fait que les objets, pendant que le soleil paroît encore sur l’horizon, tranchent net sur leur fond, que les lumières & les ombres tranchent avec la même netteté, & que les reflets qu’occasionne dans les ombres des corps, le voisinage d’autres corps, y opèrent une répercussion plus vive & plus sensible, en participant cependant toujours de la teinte générale de la lumière répandue dans ce tableau. Cette règle est essentiell, sur-tout pour amener les paysages à l’intelligence ; car n’y régnant presque qu’une seule couleur, ce ne peut être qu’avec les secours des reflets & en modifiant la lumière avec art, que les tons, ainsi que les formes, s’y seront sentir & s’y arrangeront chacun à leur place. J’oubliois de faire remarquer, que le soleil étant près de tomber, se trouve dans la même position que lorsqu’il se levoit, & que la même raison qui prolongeoit alors les ombres, les met le soir dans la même disposition.

Je souhaiterois, Messieurs, en dire davantage. La chose est possible, mais elle est au-dessus de mes forces. Je vous supplie de vous contenter de ce foible essai : tout imparfait qu’il est, recevezle comme un témoignage de mon zèle & de mon attachement à remplir les devoirs d’Académicien.

Je n’ai point voulu traiter de la perspective aërienne, qui paroît cependant dépendante de mon sujet. Pour vous faire connoître la gradation & les effets des lumières & des ombres sur les corps, il eût fallu entrer dans des discussions de perspective pratique, donner des démonstrations, les accompagner de figures, & je n’ai point envie de mettre la main dans la moisson d’autrui. Vous avez dans votre Compagnie un Professeur intelligent ([1]) & exercé, qui ne laisse rien ignorer de cette science à vos Etudians. Je les exhorte de recourir à lui, de prêter une oreille attentive à ses utiles leçons, & de se ressouvenir qu’un Peintre qui sait la perspective & qui la pratique, est autant au-dessus de celui qui l’ignore, qu’un profond Dessinateur est supérieur à un misérable Artiste, qui n’auroit que des notions fort imparfaites du dessin.

Ce que je viens de vous lire, Messieurs, n’est que le prélude des engagemens que Bourdon avoit


contractés avec vous : il vous avoit promis de parcourir toutes les parties de la peinture, & à en juger par cet essai, il est aisé de voir que, si trop de vivacité dans l’imagination ne lui eût peut-être pas permis d’approfondir assez les matière, il y eût porté cet esprit d’invention qui le suivoit dans toutes ses opérations, & vous pouviez du moins compter sur une excellente esquisse, qui tôt ou tard eût animé quelqu’un d’entre vous & eût fait naître un cours de Peinture complet, ouvrage qui vous manque & dont les vues droites de Bourdon lui faisoient sentir la nécessité.

La mort qui rompt si souvent des projets utiles, a fait évanouir celui-ci. Il est pourtant vrai que notre Artiste auroit pu vous faire part encore une fois de ses réflexions, puisqu’au mois de Juillet de l’année 1670, il se trouva en tour de parler, & que sa mort n’arriva qu’en 1671. Mais un objet plus pressant & qui étoit à la vérité d’une beaucoup plus grande importance, s’offrit à lui & lui parut devoir mériter la préférence. L’Académie, vivement occupée de l’instruction de ses Elèves, délibéroit sur les moyens de rectifier & d’améliorer les études. Le Brun avoit prononcé tout récemment un excellent discours, dans lequel il enseignoit la meilleure manière de dessiner d’après le modèle. Plusieurs Académiciens avoient proposé chacun leur avis ; tous montroient un grand zèle pour la perfection de l’Ecole. Comment Bourdon eût-il pu demeurer muet, lui qui dans toutes les rencontres s’étoit toujours montré aux premiers rangs ? Craignant que son silence ne reçût quelque mauvaise interprétation, il n’atendit pas qu’on le prévint ; il se fit à lui-même crime de n’avoir pas parlé plutôt ; & des qu’il lui fut permis, il appuya de son sentiment ceux de ses illustres confrères.

Je ne vous rapporterai point mot pour mot ce qu’il dit en cette occasion, d’autant même qu’il se répandit moins en paroles qu’en démonstration ; je vous en serai simplement le récit. Bourdon pensoit qu’on ne peut trop-tôt se former une bonne manière de dessiner, & n’en connoissant point de préférable à celle a laquelle conduit l’étude de l’Antique, voici le chemin qu’il conseilloit de suivre aux Etudians, à ceux qui, déjà avancés dans la pratique du Dessin, sont en état de rendre avec justesse ce qu’ils se propesent d’imiter.

Il vouloit que, pour éviter de tomber dans le mesquin, & ne point contracter la manière de l’Artelier qu’on fréquente, on se familiarisât de bonne heure avec les belles Antiques, qu’on les dessinât partie par partie & ensuite dans leur totalité, & qu’en s’en fît une telle habitude qu’on pût, quand on le voudroit, ou que quelqu’un le demanderoit, les dessiner même de mémoire. Mais craignant encore que cette pratique, quelque sûre qu’elle soit, ne dégénérât en manière, il crut y devoir chercher un préservatif, & il

  1. (1) M. Mignon.

Beaux-Arts. Tome I. R