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Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/376

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I

ECO grand maître, joint à l’éclat de la couleur & à la magie du clair-obscur, un dessin savant quoiqu’il ne soit pas fondé sur le choix des plus belles formes, une composition qui a de la grandeur, une certaine noblesse dans les figures, des expressions fortes & naturelles, enfin, une sorte de beauté nationale qui n’est ni celle de l’antique, ni celle de l’école Romaine eu Lombarde, mais qui est capable & même digne de plaire.

L’ÉCOLE HOLLANDOISE, si l’on veut en parler en général ne sans avoir égard à de nombreuses exceptions, ne possede de tous ces avantages que celui de la couleur. Loin de s’occuper de la beauté des têtes & de celle des formes, elle semble se plaire à l’imitation des formes les plus basses, des têtes les plus ignobles. Les sujets les plus abjects sont ceux qu’elle préfère, des tavernes, des forges, des corps-de-garde, des fêtes de paysans grossiers. Elle réussit à rendre les expressions ; mais ce sont celles des passions qui rabaissent l’humanité & non celles des affections qui l’anoblissent : on diroit qu’elle s’est fait un art de dégrader à la fois l’ame & le corps de l’homme. C’est cette école dont aujourd’hui les ouvrages sont les plus recherchés en France.

Il faut convenir qu’elle a, dans certaines parties de l’art, des succès qui la distinguent. Si elle ne choisit qu’une nature basse pour objet de son imitation, elle rend cette nature avec la plus grande vérité, & la vérité atoujours droit de plaire. Ses ouvrages sont de la plus grande propreté, du fini le plus précieux. Elle réussit à produire non les effets les plus savans & les plus difficiles du clair-obscur ; mais ceux qui sont les plus piquans : tels que ceux d’une lumière étroite dans un espace renfermé & de peu d’étendue, d’une nuit éclairée par la lune ou par des flambeaux, de la clarté que répand le feu d’une forge. Les Hollandois entendent bien l’art des dégradations de la couleur, celui des oppositions, & sont par ce dernier moyen parvenus à peindre la lumière elle-même. Ils n’ont pas de rivaux dans la peinture du paysage considéré comme la représentation fidelle, &, s’il est permis de parler ainsi, le portrait d’une campagne particulière ; mais ils sont loin d’égaler le Titien, le Poussin, Claude le Lorrain, &c. qui ont porté à un degré éminent l’idéal de ce genre, & dont les tableaux, au lieu d’être la représentation topographique de certains lieux, sont le résultat composé de toutes les richesses que leurs auteurs ont trouvées dans leur imagination, & de toutes celles qu’ils ont observées dans la nature. Les Hollandois se distiguent aussi par la représentation des perspectives, des ciels, des marines, des animaux, des fruits, des fleurs, des infectes, & par des portraits en petit. Enfin tout ce qui n’exige qu’une imitation fidelle, de la couleur & un pinceau précieux est de leur ressort.

Au reste la Hollande a produit de bons peintres d’histoire, tels qu’Octave Van-Veen ou Otto-Vénius, qui étoit de Leyde, d’excellens peintres de portraits en grand, tels que Vander-Helst, l’émule & peut-être le vainqueur de Vandick : mais ce n est point par le caractère de ces grands artistes qu’il faut spécifier le style hollandois.

On ne trouvera pas non plus l’origine de ce style dans LUCAS DE LEYDE, qui cependant, par le temps où il a vécu, doit être regardé comme le patriarche de l’école Hollandoise. Sa manière appartient plutôt au style gothique, qui étoit celui des premiers peintres Allemands ses contemporains. Il naquit à Leyde en 1494. Son père, nommé Hugues Jacobs, fut son premier maître. Il est du petit nombre des hommes célèbres à qui la nature s’est plu à épargner le temps de l’enfance : ses premiers jeux furent l’étude de la peinture & de la gravure ; dès l’âge de neuf ans, il mit au jour des sujets que lui-même avoit composés, & trois ans après il étonna les connoisseurs & les artistes par l’histoire de Saint-Hubert, peinte en détrempe. Son estampe de la tentation de Saint-Antoine qu’il grava à l’âge de quinze ans, est d’une invention plus agréable que celle de Callot ; il y a représenté le démon qui a pris pour séduire le Saint la figure d’une jolie femme. L’estampe de la Conversion de Saint-Paul qu’il grava la même année est estimée par la justesse de l’expression, par des ajustemens vrais à la fois & pittoresques, & par l’intelligence du burin.

Il a su éviter la confusion & répandre une grande vérité dans ses sujets d’histoire, & il a surpassé Albert Durer dans la composition parce qu’il avoit mieux approfondi les principes de l’art. Les peintres peuvent puiser ces principes même dans ses ouvrages gravés, & à peine pourroient-ils avec le secours des couleurs, surpasser les effets de perspective aërienne qu’il a exprimés par le seul secours du burin. C’est la justice que lui rend Vasari, qu’on ne soupçonnera pas d’avoir voulu flatter un artiste qui n’étoit pas Florentin. Mais comme un peintre ne peut réunir au même degré toutes les parties de son art, Lucas le cédoit à Albert dans la science du dessin.

Il peignoit à l’huile, en détrempe, & sur verre ; il traitoit l’histoire, le paysage & le portrait. On conserve de lui, à l’Hôtel-de-ville de Leyde, un tableau du Jugement dernier d’une belle composition & d’un détail immense. Les femmes sur-tout y sont délicatement peintes, & les carnations en sont agréables & vraies. On voit, par cet ouvrage, avec quel soin il avoit étudié la nature. Si l’on se plaint que ses figures tranchent trop durement avec les fonds, sur-tout du côté de la lumière, il faut lui pardonner ce défaut qui est plutôt celui du tems